L’interdiction du port du voile à Jeanne d’Arc: « Elles n’ont même pas le droit d’aller aux toilettes »
« Dès qu’on rentre, ils font comme si on n’existait pas. Ils nous laissent à l’amphithéâtre, et que les parents viennent nous chercher ou non, cela ne change rien pour eux. Nous ne pouvons même pas aller aux toilettes sans être accompagnées. Ils ne manquent plus que des menottes et nous serons définitivement prisonnières, » s’étonne Dalia Darwish, une élève voilée, actuellement en classe de terminale.
Dalia, en colère et presqu’en larmes s’emporte: « Je suis désemparée, je ne peux rien faire contre ça. Je suis en terminale et je n’ai pas envie de perdre mon année à cause de ces histoires. »
Cachées derrière leurs mamans venues les chercher, comme pour se protéger du micro tendu, deux autres élèves voilées viennent de sortir de l’école. Elles requièrent aussitôt l’anonymat, avant d’accepter de se confier. Elles parlent à tour de rôle: « Ce qui se passe est stressant. Nous ne pouvons pas faire cours depuis mercredi. Et ce que l’école nous reproche est ridicule. On nous dit que nous qui portions le voile, nous nous mettons é l’écart automatiquement et que nous ne voulons pas être avec les autres. Ce qui est faux. Moi par exemple, mes plus grands amis en classe, ce sont les garçons. Et comment puis-je refuser de m’asseoir à côté d’eux? »
Mme Badawi Nasrine a deux filles dans cet établissement, l’une en première et l’autre en terminale. Elle est devant la porte de l’institution, comme attendant un miracle. Sa voix est toute petite: « Je trouve que c’est vraiment désastreux ce qui se passe en ce moment. J’ai mes enfants qui sont là depuis la CP. Donc c’est vraiment honteux car pour elles, cette école c’était tout. Leur famille, leur maison, … elles passaient plus de temps a l’école qu’à la maison. »
Elle reprend son souffle avant de poursuivre: « Ce qui se passe, ça les angoisse, ça les stresse, surtout que les miennes sont dans des classes d’examens, des classes sensibles. Elles sont écœurées et n’ont même plus envie d’aller a l’école. J’espère que par la force divine, les choses se règleront inch’Allah. »
Une autre maman, venue elle-même récupérer sa fille, se désole: « Chacun son culte, et sa liberté d’exercer sa religion. Nous sommes dans un pays laïc. Ce morceau de tissu ne va pas empêcher à nos enfants de travailler a l’école comme il se doit. Ils ont voulu appliquer ce règlement, il fallait au moins qu’on nous donne un délais. On ne peut pas renvoyer des élèves qui sont dans des classes aussi sensibles. L’État ne doit pas accepter ça, personne ne devrait l’accepter. »
Hassan a aussi deux filles à l’intérieur: « Cela fait trois jours qu’elles ne font pas cours. Des qu’elles arrivent, on les met dans une classe à part, avant de nous appeler pour venir les récupérer. Ils disent que chacun est libre dans sa religion. Cela fait 9 ans qu’elles sont ici. Et aujourd’hui on les rejette à cause de leur voile. Elles n’ont même pas le droit d’aller aux toilettes. Pour y aller, elles doivent être accompagnées. Comme des criminelles. » Il hoche la tête.
Abdali se tient devant l’entrée principale de l’école. Il est seul à brandir une pancarte sur laquelle on peut lire: « NON à l’interdiction du port du voile. » Il est venu en soutien aux autres parents, malgré que sa fille ne soit pas voilée. Il observe, non sans étonnement: « Nos sœurs voilées qui sont à l’intérieur, nous les respectons. Nos enfants aussi. C’est aberrant que ces mêmes sœurs, voilées, refusent le voile aux élèves. Et cette décision vient remettre en question notre laïcité et notre Teranga. C’est d’autant plus aberrant quand c’est à peine une trentaine d’élèves qui sont concernées. Cela ne vaut pas le coup de créer un problème entre musulmans et chrétiens. »
Radwan, qui vient de récupérer sa fille, ne cache pas son énervement: « Elle n’a que douze ans. Qu’est-ce qu’elle peut bien faire de mal avec un voile ? » Il s’indigne: « Nos enfants sont en quarantaine, et n’ont même pas le droit d’aller aux toilettes seules. Et puis, leur règlement, c’est un jeu! Je l’ai bien signé, alors qu’il n’avait que deux pages. Un autre papier a été introduit après nos signatures. » Radwan promet sans décolérer: « De toute façon, tout ce que la loi nous permet, nous le ferons! »