Gérard Larcher président, une campagne présidentielle en pleine épidémie… Si ce scénario de politique-fiction a été démenti par l’Elysée, la France aurait pu vivre des heures rocambolesques.
POLITIQUE – « C’est pourquoi j’ai décidé de démissionner. » À en croire Le Figaro, cette phrase aurait trotté dans la tête du président de la République en pleine pandémie de coronavirus. Le quotidien conservateur affirme qu’Emmanuel Macron aurait évoqué la possibilité de démissionner pour mieux se faire réélire au cours d’une visioconférence avec des donateurs de sa première campagne présidentielle. Une façon pour lui de « reprendre la main » dans cette période ô combien troublée.
Sitôt publié, l’article a rapidement fait réagir l’Élysée qui a démenti l’information auprès de l’AFP. « Le président de la République n’a jamais évoqué sa démission. Il n’a jamais participé à une visioconférence avec des donateurs », assure le palais présidentiel.
Selon un des participants cités par Le Figaro, qui n’a pas retiré son article en dépit du démenti élyséen, le président aurait indiqué envisager ce scénario pour provoquer, « dans les semaines ou les mois à venir », une élection anticipée. « Je suis sûr de gagner car il n’y a personne en face », aurait assuré le chef de l’État, toujours selon le quotidien. Une éventualité qui n’a pas fini d’agiter la sphère politique et médiatique, tant elle paraît ubuesque, qui plus est dans la crise historique que traverse actuellement la France.
Aussi improbable soit-il, ce scénario a malgré tout été prévu par nos institutions. Voici ce qui se serait probablement passé si Emmanuel Macron avait réellement posé sa démission.
Gérard Larcher président
Le président de la République démissionnaire, c’est le patron du Sénat qui prend la relève: en l’occurrence Gérard Larcher. L’indéboulonnable président Les Républicains de la Chambre haute aurait été amené à assurer l’intérim jusqu’à la prise de fonction du nouveau chef de l’État élu au suffrage universel.
Il aurait ainsi marché dans les pas de son illustre prédécesseur Alain Poher, seul responsable politique de la Ve République à avoir rempli ce rôle. Et ce par deux fois. La première lors de la démission du général de Gaulle en 1969, unique président de la République à avoir franchi le Rubicon. La deuxième au moment de la mort de George Pompidou le 2 avril 1974.
Comme Alain Poher, Gérard Larcher aurait été aux manettes du pays pendant quelques semaines seulement. L’article 7 de la Constitution prévoit effectivement qu’une élection doit être organisée au maximum 35 jours après le début de la vacance du pouvoir.
Le président intérimaire aurait dû travailler avec l’actuel Premier ministre Édouard Philippe, qui fait figure de recours en cas d’empêchement du président du Sénat. Nul doute non plus que Gérard Larcher aurait cherché la stabilité institutionnelle dans une période marquée par l’incertitude économique et sanitaire.
Comme le gouvernement actuel, ce duo rocambolesque aurait été confronté à la hausse historique du chômage, à la crainte d’une deuxième vague épidémique, à l’endettement critique du pays, aux inégalités creusées par des semaines de confinement et aux crispations engendrées par toutes ces secousses. Le pouvoir en moins.
Car lors de son intérim, le président du Sénat peut certes expédier les affaires courantes mais il n’a pas toutes les prérogatives du président de la République élu. Le président par intérim ne peut pas soumettre de projet de loi au référendum, ne peut prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale ni réviser la Constitution.
Élection présidentielle en pleine pandémie
Gérard Larcher n’aurait sans doute pas eu ni l’assise politique ni la légitimité des urnes pour engager les réformes et autres plans de soutiens nécessaires à l’économie du pays. Et sur quelle ligne politique? L’ancien ministre de Jacques Chirac est un homme de droite, l’un des derniers poids lourds des Républicains, formation politique qui ne cesse de clamer son opposition aux politiques gouvernementales menées par Édouard Philippe, qui a quitté Les Républicains pour rejoindre Emmanuel Macron à Matignon.
Autre difficulté si le président de la République avait démissionné, la campagne présidentielle se serait alors déroulée sous la menace d’une deuxième vague épidémique. Ce qui veut dire, si l’on suit les recommandations du conseil scientifique pour le second tour des élections municipales du 28 juin, une course électorale sans grand meeting ni autre réunion publique ou événement d’ampleur susceptible de faire basculer une campagne.
Cette perspective soulèverait autant de critiques sanitaires que démocratiques. « Quand je regarde l’histoire électorale, c’est l’histoire de la confrontation. La confrontation des candidats avec les électeurs, la confrontation des programmes, la confrontation des personnes. Il faut un échange, un dialogue », estimait par exemple le constitutionnaliste Didier Maus au HuffPost à propos du second tour des élections municipales, marqué comme une « régression de la démocratie », à ses yeux. Qu’en serait-il pour une élection présidentielle ?
Quels adversaires face à Macron ?
Toujours selon Le Figaro, Macron aurait fait preuve d’un optimisme à toute épreuve sur l’éventualité d’une réélection. « Je suis sûr de gagner car il n’y a personne en face », aurait-il déclaré à ses donateurs, propos une fois encore démentis par l’entourage du chef de l’État.
Qu’ils soient vrais ou faux, ces propos attribués au président de la République sont symptomatiques des difficultés actuelles que rencontrent ses opposants. Comme depuis le début du quinquennat, et ce malgré les crises successives des gilets jaunes aux manifestations contre la réforme des retraites, aucune des oppositions de gauche ou de droite n’a jusqu’ici réussi à récolter les fruits de l’impopularité du chef de l’État.
S’il avait démissionné, la gauche -certes revigorée par de bons scores aux municipales- ne semble pas en position de s’entendre sur une candidature unitaire, notamment au regard des ambitions qui commencent à s’aiguiser. Faute de solutions évidentes ou de figure providentielle, les partis pris de court -du PS à LFI en passant par EELV- auraient sans doute chacun présenté un candidat propre. Au risque d’une défaite quasi-assurée.
À droite, la situation politique actuelle n’est guère plus simple. Aucune figure ne s’impose réellement depuis la déconfiture de la ligne dure de Laurent Wauquiez. Xavier Bertrand, officiellement retiré du parti, semble fourbir ses armes, pendant que François Baroin hésite à se lancer.
Entre des institutions déstabilisées, des oppositions cannibalisées et un président de la République « qui prend son risque »… L’atmosphère politique déjà viciée serait sans doute devenue encore plus étouffante. Mais il ne s’agit là heureusement que d’un scénario de politique-fiction.