Je fais partie de ceux qui pensent que Jules Ferry doit être compté parmi les hommes politiques qui ont le plus apporté à leur pays. Il a instauré l’école obligatoire et a fait de l’école publique le socle de la République française. Jules Ferry a aussi considéré, dans la mise en œuvre des programmes éducatifs, que «la morale appartient à l’école» tandis que «la religion appartient aux familles et à l’Eglise». En d’autres termes, celui qui voudrait inculquer des notions d’éducation religieuse ou confessionnelle, selon ses préceptes et critères personnels ou familiaux, pourrait recourir au système éducatif de son «église». Une liberté de choix est donc reconnue à tout parent. Ainsi, l’école publique devrait fonctionner selon des paradigmes ou quelques grands principes que sont : la liberté de l’enseignement, la gratuité, la neutralité et la laïcité. On ne va pas tomber dans le péché de croire que tout était meilleur hier, au contraire, on devrait s’évertuer à devenir meilleur qu’on ne l’était hier et rendre notre société meilleure qu’elle ne l’était jadis. Seulement, l’actualité de ces derniers temps indique qu’en dépit des efforts consentis, le secteur de l’éducation est en train d’aller à vau-l’eau. L’école est sans doute le reflet de sa société et l’image hideuse qu’offrent les écoles et universités sénégalaises renseigne sur les gros périls qui guettent la société, pour ne pas dire qu’elle se trouve dans une certaine décadence. Platon prédisait : «Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants. Lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles. Lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter. Lorsque, finalement, les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne se reconnaissent plus d’autorité au-dessus d’eux, alors c’est là en toute beauté et en toute jeunesse le début de la tyrannie.» Pour le cas du Sénégal, on ajouterait que les éducateurs eux-mêmes en sont arrivés à renoncer à leur rôle, pour ne pas dire qu’ils ont trahi leurs idéaux.
Va-t-on arrêter d’enseigner Kant, Bergson, Hegel, Nietzsche, Camus, Sartre et autres ?
Ousmane Baldé est un enseignant qui n’était pas connu du grand public. Il exerçait tranquillement son rôle de professeur d’anglais et n’avait sans doute pas manqué d’être reconnu par ses pairs. Il était alors devenu un encadreur ou formateur. «Mister Baldé» a eu la main malheureuse d’avoir choisi, en mai dernier, un sujet d’épreuve d’anglais pour les candidats à l’examen blanc du Baccalauréat du département de Rufisque. Le sujet était un texte tiré d’une lettre d’un homosexuel adressée à ses parents pour leur révéler ses penchants sexuels. Les élèves étaient invités à donner leur opinion sur le sujet et d’argumenter leurs positions. Une épreuve discursive, de dialectique, comme on le demande régulièrement à tout élève des classes de Terminales, aspirant au Baccalauréat qui constitue le premier diplôme universitaire.
Ousmane Baldé a fait l’objet d’un lynchage systématique par des organisations homophobes. Les différentes autorités de l’éducation nationale l’ont jeté en pâture devant les médias et il ne se trouvait pas une voix pour dire que Ousmane Baldé n’a commis aucune faute. Les syndicats d’enseignants ont même participé à l’hallali, jusqu’à demander des sanctions contre leur pauvre collègue. Ousmane Baldé s’était vu obliger de se mettre devant les caméras de télévision, s’identifiant et se mettant (et sa famille avec) en danger physique, pour s’excuser de la méprise d’avoir choisi un tel sujet et surtout de se présenter comme un père de famille modèle qui sait réciter des versets du Coran et qui sait faire preuve de religiosité. Ousmane Baldé, sans aucune forme de procès, a fait l’objet de sanctions administratives. Il n’y a aucun risque à dire qu’il a été injustement sanctionné et on ne le dira jamais assez, ses pairs enseignants et les autorités académiques et de tutelle n’ont pas protégé un fonctionnaire de l’éducation qui a agi strictement à l’aune des règles de sa profession.
On saura par la suite que le même sujet avait pourtant été donné à d’autres générations d’élèves, sans que cela n’eût à choquer. La lâcheté des enseignants est sidérante devant un activisme subitement débordant de certains groupes sociaux qui, du reste, n’ont pas encore fait la preuve de leur majorité dans la société sénégalaise. Quels gages voudrait-on donner, à qui et pour quelles raisons, pour que Ousmane Baldé soit ainsi le bouc émissaire ? Les réactions passionnées suscitées par cette question, trop exagérément amplifiée par les médias, montre bien que la question de l’homosexualité est devenue un débat de société au Sénégal et que le secteur de l’éducation ne devrait plus l’occulter ou l’ignorer. Il demeure qu’il y aurait un gros risque à laisser des organisations confessionnelles ou de quelque obédience qu’elles soient dicter le choix des matières et sujets à traiter en classe dans les écoles publiques. Mieux, qui, y compris les pourfendeurs de Ousmane Baldé, n’a pas eu à suivre des cours portant sur l’œuvre de grands philosophes qui ont discuté jusqu’à l’existence de Dieu ? Est-ce que pour la morale ou pour toute autre religion l’homosexualité serait un péché plus grave que la négation de l’existence de Dieu ? Devrait-on dès lors bannir des curricula d’enseignement les thèmes et matières qui ne plairaient pas à certains croisés d’un nouvel ordre sociétal au Sénégal ? Quel est l’étudiant ou l’enseignant au Sénégal qui n’a pas été en grève pour le prétexte de supposées atteintes aux franchises universitaires et autres libertés académiques ? Les libertés académiques et les franchises sont à l’université ce qu’est l’immunité parlementaire aux parlementaires et l’immunité diplomatique aux diplomates. A moins qu’on ne veuille désormais dédier exclusivement aux querelles de partis politiques et aux compétitions électorales ce principe sacro-saint du monde universitaire. Au demeurant, la responsabilité de l’Etat est engagée dans le sens où on observe une frilosité, qui frise la compromission, sur certains principes fondamentaux comme la liberté de culte, la liberté d’expression ou d’association. S’il y a des gages à donner, l’Etat doit les donner à tout citoyen, à qui il doit protection au nom des valeurs républicaines. Toute autre posture est condamnable, encore que les tenants du pouvoir n’ont aucun intérêt à encourager le développement ou le triomphe de groupuscules tonitruants qui, par leurs actions, sapent notre commune volonté de vivre ensemble.
Quand les élèves auront le droit de frapper leurs maîtres et jusqu’au sang…
Le 20 décembre 2013, nous nous indignions dans ces colonnes de la furie d’étudiants qui dispersaient, par la violence, une conférence sous l’égide du Professeur émérite Souleymane Bachir Diagne. La conférence que devait animer Paulin Houtondji était organisée par la Fondation Léopold Sédar Senghor. Les étudiants, prétextant que c’est Souleymane Bachir Diagne qui a piloté les travaux de réforme de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), avaient interrompu la conférence et déclaré le brillant universitaire persona non grata à l’université. Et pourtant, Souleymane Bachir Diagne, qui a longtemps enseigné à l’Ucad, a rendu de fiers services à l’institution.
Le comble n’était pas que des étudiants qui peuplaient la célèbre Université Cheikh Anta Diop de Dakar voulaient garder un niveau de frais d’inscription qui n’existait plus qu’au Sénégal ou qu’ils exprimaient leur revendication par la violence et contre leurs «maîtres», mais surtout qu’ils trouvaient en certains de leurs maîtres une compréhension pour ne pas dire un encouragement ou une incitation. En effet, ils étaient nombreux des enseignants de l’Université sénégalaise à se gausser des déboires de Souleymane Bachir Diagne dont la renommée mondiale a pu faire quelques jaloux. Ces étudiants n’étaient point sanctionnés.
Comment peut-on alors s’étonner qu’un autre étudiant puisse se permettre, devant les caméras des téléphones portables de ses camarades, d’arracher en plein cours le micro des mains de son professeur, interrompant ainsi le cours pour débiter des revendications de quelque ordre. Il a pu passer pour une vedette devant ses camarades étudiants qui l’acclamaient et qui ont tenu à le défendre devant le Conseil de discipline. Et il se trouve des enseignants universitaires qui jugent sévère la sanction d’exclusion d’un tel étudiant. Comme il se trouve des enseignants universitaires qui protestent contre les mêmes sanctions infligées à d’autres étudiants reconnus coupables d’avoir planqué des machettes, coupe-coupe et autres armes blanches dans leurs résidences universitaires, dans le projet criminel d’en découdre jusqu’au sang à l’occasion de compétitions électorales entre étudiants ou pour tout autre raison.
Il arrive de plus en plus que les enseignants mettent au-dessus de leur engagement professionnel leurs inclinaisons politiques et partisanes. Ces enseignants préfèrent sauver la tête de leurs camarades de partis ou de luttes politiques plutôt que de préserver l’institution universitaire. La situation est si absurde que des syndicats d’enseignants sont souvent allés en grève pour, non pas des revendications syndicales ou professionnelles, mais parce que l’un des leurs a eu des déboires judiciaires du fait de ses engagements politiques partisans, engagements politiques exprimés ou manifestés en dehors du cadre de l’école ou de l’université. Assurément, faute de pouvoir les élever à leur niveau, les maîtres finissent par descendre au niveau de leurs disciples.
Si tout cela se passe de la sorte à l’université, pourquoi devrait-on s’étonner que dans les lycées et collèges des élèves brûlent la salle des professeurs ou déchirent devant les réseaux sociaux les cahiers et feuilles de composition ou narguent les responsables de leurs établissements qui leur imposaient durant l’année scolaire le port du masque comme mesure de prophylaxie contre la pandémie du Covid-19 ? Comment s’étonner qu’un élève ne trouve rien de mieux à faire que de balancer une brique sur la tête de son professeur et le couvrir de sang ? On nous dira que l’éducation de l’enfant incombe aux parents. Soit ! Mais l’enseignant a un rôle fondamental d’éducateur.
Qui n’a pas gardé en mémoire le regard tutélaire et d’autorité d’un enseignant ou d’un surveillant qui suffisait pour faire comprendre à l’élève que ses turpitudes et autres mauvais comportements devront être laissés à la porte de l’école ? L’école est le meilleur ascenseur social de notre système républicain, et bien des Sénégalais, à toutes les stations publiques, sont le fruit de cette école publique.
Post scriptum: La chronique «les Lundis de Madiambal» sera en vacances jusqu’au 6 septembre 2021.
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