Ce serait une lapalissade que de dire qu’il y’a risque de fortes tensions politiques au Mali les semaines à venir. Entre la prolongation de la transition et les discussions annoncées avec WAGNER, la junte militaire avance assurément vers le choc.
Contrairement aux événements de mai (2nd coup d’Etat), il paraît difficile d’avoir un bloc intérieur favorable à la junte et pouvant élargir son “l’ensemble gagnant” dans la négociation avec la CEDEAO ou avec les autres partenaires/puissances étrangères.
Il reste à la junte de jouer la carte de la souveraineté sur le cas de WAGNER pour essayer de créer un effet de ralliement qu’il faudra traduire dans le strict champ politique intérieur.
En effet, les désapprobations des officiels Français, médiatisées, touchent facilement la sensibilité des fiers Maliens. Tout autant, le signal envoyé par la sortie de la CMA (anciens groupes rebelles sécessionnistes au Nord du Mali) contre l’éventuel contrat avec la société militaire privée Russe peut aboutir à un décodage oppositionnel par les populations et pousser vers un repli autour de ce qui prétend encore incarner le “Mali, Un et Indivisible.”
LA QUÊTE D’INFLUENCE
Au-delà de la manœuvre politique, il faut comprendre qu’un contrat avec WAGNER marquerait un tournant dans l’organisation et les pratiques militaires de la bande sahélo-saharienne qui demeure, jusque-là, une zone d’influence principalement Française. Au-delà des problèmes liés aux règles d’engagement entre des mercenaires peu respectueux du droit (qu’ils soient Russes, Français, Américains ou Sud-Africains..) et des initiatives de sécurité collective ou des alliances de défense encadrées par le droit international, il y’a l’enjeu de la quête d’influence qui reste central.
Les sociétés militaires privées ne sont pas une exclusivité Russe. Ce sont des outils développés depuis près d’une trentaine d’années par toutes les grandes puissances. Si, d’un côté, elles servent à alléger les armées sur des aspects financiers et logistiques, de l’autre, elles permettent aux États d’avoir, au besoin, une présence militaire dans des zones d’intérêt et d’en tirer profit sans devoir en endosser les responsabilités au plan du droit international.
L’arrivée de WAGNER ne servirait que de tête de pont à la Russie qui ambitionne légitimement (pour un État) de jouer un rôle de premier plan en Afrique de l’Ouest pour accompagner son renom de puissance retrouvé sous POUTINE.
Or, un éventuel déploiement de WAGNER risquerait, comme annoncé, de refroidir la coopération entre le Mali et la France mais également dans d’autres cadres multilatéraux dans lesquels les intérêts convergent quelque peu avec ceux Français (MINUSMA, G5 Sahel…). Ce qui pose la lancinante question de la volonté et du niveau d’engagement potentiel du partenaire Russe.
LES IMPLICATIONS D’UNE GRADATION DES INTÉRÊTS
Le Mali n’est pas la Syrie. Si la Syrie présente un intérêt stratégique pour la Russie, le Mali s’inscrit, au plus, dans des intérêts de puissance. C’est pourquoi l’engagement militaire assumé en Syrie laisse place à la sous-traitance à WAGNER au Mali (Comme en Centrafrique et en Libye). Le niveau des intérêts en Syrie a impliqué un engagement sérieux des ressources de l’Etat Russe. Un engagement militaire de l’Etat Russe en Afrique de l’Ouest nécessite des moyens logistiques, donc financiers, d’envergure que le potentiel retour sur investissement, peu évident au regard de l’ancrage des Français et alliés, n’encourage pas.
Par ailleurs, les contextes politique et économique intérieurs de la Russie, tendus par la COVID, ne militent pas pour un sacrifice financier au profit d’un État (Mali) dont il faudra travailler la notoriété auprès de l’opinion publique nationale.
LA BALANCE
L’intervention militaire Française, avec ses partenaires occidentaux, s’inscrit dans la suite d’une vieille coopération politico-économique dont on peut légitimement remettre en question l’efficacité au profit des Maliens et, même, des autres pays de la bande Sahélo-saharienne. Le sentiment “anti-français”, émanation naturelle ou promue, n’est pas fortuit.
Toutefois, la France, pour ses intérêts effectifs et en sus de la solidarité, contribue significativement aux différentes initiatives qui concernent la zone et sert de tutrice auprès d’autres pays donateurs et organismes partenaires. Son engagement militaire assumé offre des possibilités logistiques et, plus généralement, de partenariat dont une société militaire privée ne peut se prévaloir. C’est ce niveau d’engagement effectif qu’il convient, en toute rigueur, de mettre sur la balance avec le potentiel Russe.
Cependant, on ne peut occulter la longue tradition de coopération militaire entre la Russie et le Mali. Le long travail de socialisation, à travers la formation du personnel militaire Malien, facilite un tel rapprochement. Le Mali, pays souverain, a le droit de choisir ses partenaires tout en assumant pleinement les conséquences.
Il faut simplement souhaiter que les intérêts de la transition ne supplantent pas ceux du Mali dont l’engagement dans le régionalisme Ouest-Africain n’est pas sans contrainte sur l’exercice de la souveraineté.
Mouhamadou Lamine Bara LO
Président TULLIUS AFRICA SAS
Doctorant en Sc. Politiques
Ancien auditeur Master CHEDS