Le 22 novembre 2017, lors de la visite du Président de la République à Tivaouane en prélude au Gamou, le Khalife des Tidianes, Serigne Mbaye Sy a prophétisé la réélection de Macky Sall en versant dans la science hassidique : « J’ai entendu quelqu’un dire que vous devez diriger le Sénégal pendant vingt ans. Ce dernier n’a pas tort. Si vous enlevez le zéro de vingt, il reste deux. Deux : c’est le signe mystique de votre deuxième mandat. Si Dieu ne voulait pas vous accorder un second mandat, il ne vous en donnerait pas un premier ». Le bastringue médiatique qu’une telle prophétie a soulevé à travers les réseaux sociaux avait obligé le khalife à faire des reculades, accusant la presse d’avoir biaisé ses propos. Ce rétropédalage subséquent loin d’endiguer les déchaînements médiatico-hystériques n’a fait qu’enflammer à nouveau les réseaux sociaux entamant du coup le respect de la parole califale donnée.
Le 20 septembre 2018, Pape Malick Sy (PMS), le porte-parole du Khalife général des tidianes, lors du grand rassemblement des jeunes tidianes du Sénégal à Tivaouane, annonce sans ambages le soutien de Tivaouane au Président Macky Sall en ces termes : « Depuis Senghor en passant par Abdou Diouf jusqu’à Wade, ce que le président Macky Sall a fait à Tivaouane, aucun autre président de la République n’a pu le faire. C’est la raison pour laquelle, nous avons décidé de le soutenir pour qu’il puisse terminer ses chantiers ». C’est donc dire que son porte-parole en publicisant le soutien au chef de l’Etat ne fait que confirmer l’idée quintessentielle contenue dans les propos ésotériques du guide de Tivaouane.
A la suite de ce soutien public, des réactions tous azimuts ont été notées notamment dans la communauté tidiane. Mais la plus remarquable est celle du marabout-député Serigne Mansour Sy Djamil qui n’a pas mis temps pour faire savoir à son cousin Pape Malick que «Macky Sall ne bénéficie du soutien que d’une infime partie de Tivaouane… que tout Tivaouane n’est pas avec Macky… Et que c’est juste une partie minoritaire de Tivaouane…». Mais les deux déclarations du khalife et de son porte-parole ont eu le malheur de créer des secousses sismiques dans la tarikha tidiane de Tivaouane. Ils ont tous été désavoués après leurs sorties par des talibés de Tivaouane.
Dans cette palanquée de réactions réprobatrices, il faut y noter celles émanant de quelques Moustarchidines, talibés de Serigne Moustapha Sy, qui ont pris le contre-pied du porte-parole du khalife. La sortie de PMS contrariée par le rechignement encoléré du leader de Bës du Niak suivie de celles des Moustarchidines met encore à nu sur la place publique les divisions profondes qui minent la famille tidiane de Tivaouane depuis fort longtemps. On pensait, depuis l’accession de feu Cheikh Tidiane Sy Al Makhtum au trône califale, que les divisions au sein de cette famille religieuse étaient rabibochées et que les démons de la division étaient exorcisés par les anges de la réconciliation et de la réunification familiales. Mais que nenni ! Les blessures purulentes de la famille Sy sont encore béantes, saillantes et saignantes. La prise de position de PMS en défaveur du Pur de Moustapha Sy, fils de son grand-frère Al Makhtum, et du leader de Bës du Niak acte le divorce entre l’oncle (PMS), le neveu (Moustapha Sy) et le cousin (Serigne Mansour Sy Djamil). D’ailleurs depuis janvier 2018, on percevait les prodromes de cette désunion feutrée quand Moustapha Sy soutenait que « son père n’aurait pas aimé une photo où PMS était accompagné du promoteur de lutte Gaston Mbengue », une vive polémique a éclaté au sein de la famille Sy au point que Serigne Abdoul Sy, jeune frère du guide des Moustarchidines, a jugé nécessaire de déclarer publiquement que « de tels propos n’ont jamais été tenus par Serigne Cheikh » avant d’ajouter que « Moustapha Sy n’a pas vu son père de 2012 jusqu’à sa disparition ».
En 1993, Al Amine avait refusé sur injonction de son frère Al Makhtum de voter contre Abdou Diouf contrairement à Moustapha Sy et PMS qui se rangeaient derrière leur mentor. En 2000, Cheikh Tidiane Sy qui avait aplani entre-temps ses divergences de 93 avec le Président Abdou Diouf avait appelé le jour de la Tabaski, veille du second de l’élection présidentielle à voter pour le candidat sortant. Les semaines précédentes, le khalife Serigne Mansour et Al Amine avaient demandé à la communauté tidiane d’accorder leurs suffrages à Abdou Diouf. Le même jour de la tabaski, Moustapha Sy prit le contrepied de son père et demande à ses talibés à travers les médias privés (Sud Fm et Walf Fm) de voter pour Wade. D’ailleurs, lors de sa lors de sa conférence post-gamou le vendredi 1er novembre 2017, Moustapha Sy a déclaré devant ses milliers de talibés qu’il a fait tomber, grâce à son mysticisme et sans infatuation, Abdou Diouf en 2000 et ce nonobstant les consignes de vote et les prédictions victorieuses de son érudit père en faveur du Président sortant.
Il apparaît que les consignes de vote assimilées à une sorte de pari « win-win » mais in fine « win-lose » émanant de chef religieux non seulement ne prospèrent plus, mais elles sont source de division au sein de ces familles religieuses. Les talibés n’adhèrent plus au panurgisme électoral que leur imposent leurs guides spirituels au nom d’un contrat d’allégeance sis sur la foi et non sur des convictions politiques. L’énonciation de ndigël politique laisse supposer que les marabouts mettent à l’encan le vote clientéliste de leur talibés lors des foires électorales. Mais le ndigël électoral aujourd’hui désuet ne fonctionne plus comme une source d’acquisition de richesses ou de passe-droits pour assurer la réélection d’un Président sortant souvent en difficulté mais elle impulse un sentiment de profonde révolte voire de rébellion chez les talibés épris de changement qui ne veulent plus servir de marchandise électorale dont le prix est négocié exclusivement entre le marabout et le Président sortant. C’est ce qui explique le désaveu des ndigël en 2000 d’Al Makhtum, d’Al Amine, de Serigne Mansour Sy, de Serigne Modou Kara, de la famille Kounta de Ndiassane et d’autres marabouts de moindre envergure, lesquels avaient tous demandé sans circonlocutions de voter pour le Président Abdou Diouf. En 2012, Serigne Béthio Thioune fera amèrement les frais de sa consigne électorale au détriment du candidat Macky Sall.
Indépendamment des remous et des divisions qu’il crée au sein des familles religieuses, le ndigël politique décrédibilise les marabouts qui s’en servent à fins crypto-personnelles s’il ne fracture pas définitivement les relations avec plusieurs de leurs talibés bâties sur un socle spirituel. Malheureusement Tivaouane de même d’autres foyers religieux tarde à l’appréhender.
seneplus