Les faits et mes preuves
Au cours de l’émission «Grand Jury» de la Radio futurs médias (Rfm) du 28 mars 2021, j’avais indiqué que le magistrat Téliko, président de l’Union des magistrats sénégalais (Ums), avait été épinglé pour avoir perçu indûment des frais de mission au Tchad, dans le cadre de l’instruction de l’affaire Hissein Habré. Cette allégation l’avait courroucé et il avait esté en justice contre ma personne. Pour ma défense, j’ai versé comme preuve un rapport narratif et financier établi par l’administrateur des Chambres africaines extraordinaires, institution judiciaire créée par l’Union africaine en vue de juger l’ancien Président du Tchad. Le rapport, élaboré en juin 2015 par le magistrat Ciré Aly Ba, actuel Premier président de la Cour d’appel de Dakar, a établi indubitablement que le juge Téliko a reçu la somme de 8 millions 925 mille francs Cfa pour des «perdiem» sur 51 jours de mission au Tchad. Les sommes perçues étaient indues d’autant que lors de leurs différentes missions au Tchad, les magistrats des Chambres africaines extraordinaires avaient été pris en charge par l’Etat tchadien. Il s’avéra que le gouvernement du Tchad avait dénoncé que les magistrats avaient touché des perdiem, bien qu’ils aient été pris en charge durant toutes leurs missions par l’Etat du Tchad qui avait par ailleurs participé, avec l’Union africaine, l’Union européenne ainsi que le Sénégal à abonder le budget nécessaire pour l’organisation du procès. Ainsi, avait-il été exigé des magistrats de rembourser la moitié des perdiem reçus. On a pu donc lire sur les différentes rubriques du fameux rapport que Souleymane Téliko devait rembourser la somme de 4 millions 462 mille 500 francs Cfa, à raison de 500 mille francs par mois. Une retenue à la source avait été opérée sur ses indemnités versées par les Chambres africaines extraordinaires pour la période allant d’octobre 2014 à février 2015. Mais Souleymane Téliko restait devoir la somme de 1 million 712 mille 500 francs Cfa. Mieux, une correspondance, adressée à Me Sidiki Kaba, ministre de la Justice du Sénégal, en date du 29 avril 2015, et produite en annexe du même rapport et toujours signée par Ciré Aly Ba, a précisé les modalités du «Remboursement de perdiem à la suite d’une double prise en charge». La lettre souligne en effet que le comité de pilotage en charge du suivi du financement des Chambres africaines extraordinaires a retenu, à l’issue de sa réunion du 11 mars 2015, de tenir le gouvernement du Sénégal informé de la situation engendrée par la fin de mandat de personnels d’instruction qui n’avaient pas encore fini de rembourser les sommes dues. Ciré Aly Ba écrit que «cette situation est consécutive à une double prise en charge des trois premières commissions rogatoires par le budget des Chambres et par l’Etat tchadien, en ce qui concerne l’hébergement. Un remboursement de l’ordre de 50% avait été ordonné en répétition de l’indu (action de in rem verso)».
Ma conviction devant les juges
Les avocats, Me Baboucar Cissé et Me Abdou Dialy Kane, qui assuraient ma défense, ont eu à soulever des vices de forme graves, entachant la régularité de la procédure. Le Tribunal les avait joints au fond. J’ai alors interpellé le président du Tribunal, lui soulignant que j’aurais pu demander la récusation de tous les magistrats membres de l’Ums pour juger cette affaire, car leur neutralité pourrait être sujette à caution, d’autant que la partie demanderesse dirige leur organisation corporatiste. Je ne l’ai pas fait, car cela rendrait certainement impossible la tenue d’un tel procès et que je restais confiant pour plusieurs raisons. Une de ces raisons tenait au fait que j’ai rapporté la preuve absolue de mes affirmations. N’est-ce pas qu’on demande toujours au journaliste d’apporter la preuve de ses écrits ? Aussi, j’ai indiqué garder foi en la justice de mon pays, institution que j’ai toujours défendue et à laquelle je continue de vouer un grand respect. J’ai également ajouté que je ne doute pas que les juges qui connaîtront de cette affaire ne tiendront pas compte de la qualité des parties en cause et auront à juger l’affaire avec sérénité et conformément à leur serment de magistrat et que j’aurai droit à un procès juste et équitable. Je continue de croire que les citoyens de la République sont égaux en droits.
La bagarre devant le prétoire
J’ai indiqué que j’assumais pleinement mes propos, qui m’ont valu d’être cité devant le Tribunal. Pour sa part, Souleymane Téliko s’est offusqué des éléments de preuve rapportés et a trouvé inacceptable que, «dans le cadre d’un complot contre (s)a personne, le ministre de la Justice Me Malick Sall ait remis à un journaliste des documents confidentiels». Il a soutenu que «c’est trahir la justice que de donner des documents pareils à un journaliste pour tenter de salir la réputation d’un magistrat». Je lui ai rétorqué que je n’aurais pas à révéler mes sources, tout en lui soulignant sa légèreté à accuser sans preuve un ministre de la Justice de la sorte, et qu’il devrait mesurer sa responsabilité pour de telles affirmations.
Souleymane Téliko a expliqué à la barre que si ses collègues et lui avaient reçu des perdiem et qu’ils étaient amenés à devoir en rembourser une partie, c’est que le gouvernement du Tchad, mécontent du rejet de sa constitution de partie civile dans le procès Hissein Habré, a fait de la dénonciation. Qu’en tout état de cause, il a expliqué que les magistrats avaient été contraints d’être rassemblés par les autorités gouvernementales du Tchad, dans un même hôtel, à savoir l’hôtel Kempinsky de N’Djamena, pour des raisons de sécurité, car les hôtels réservés «n’offraient pas de garanties sécuritaires suffisantes». Le président Ndary Diop a semblé être si satisfait de cette explication qu’il n’a pu s’empêcher de dire, à haute et intelligible voix, qu’il venait de mieux comprendre cette affaire après les explications de Souleymane Téliko. Dans les traverses du Tribunal, quelques «impertinents» ont pu grommeler. A ce moment, la messe semblait déjà dite pour moi. Néanmoins, je tentais mon va-tout en disant, de manière spectaculaire, que cet aveu de Souleymane Téliko devrait me disculper, car je n’ai pas dit autre chose : les faits allégués de la double prise en charge et du remboursement, ainsi que les preuves formelles n’étant point contestés. On m’interrogea sur la signification du mot «épingler». Le dictionnaire du Français livra séance tenante une dizaine de synonymes. Je persiflais : «Choisissez-en le synonyme que vous voulez !» J’ignorais les injonctions du président du Tribunal, en apostrophant vertement mon vis-à-vis, lui soulignant que si, pour une première mission, ils avaient pu être mis devant le fait accompli, pour les nombreuses autres missions postérieures, ils auraient pu éviter d’accepter les perdiem d’autant qu’ils savaient qu’ils seraient logés par l’Etat du Tchad à chaque fois. Ou bien qu’ils auraient pu d’eux-mêmes se mettre à restituer les sommes reçues au départ avant d’y être contraints par des retenues sur salaire après une dénonciation. Je m’étonnais qu’il ait fallu attendre des protestations et que la Justice sénégalaise soit accablée, suite à une révélation du journal L’Enquête, sous la plume du journaliste Momar Dieng, dans un article en date du 13 octobre 2014, pour daigner rembourser par moratoires.
Les 13 avocats qui s’étaient constitués pour le magistrat Téliko se ruèrent sur moi, l’injure, l’invective à la bouche. Ils ne voudront plus me laisser parler. J’étais systématiquement interrompu. Les avocats m’encerclèrent devant la barre et certains d’entre eux criaient à tue-tête. Je criais autant qu’eux. Un bien ridicule spectacle ! Mes conseils me mirent en garde de faire gaffe, car manifestement, l’objectif était de me provoquer pour m’amener à commettre un impair et donc être fatalement poursuivi pour troubles à l’audience ou outrage, ou on ne sait quel autre délit encore. Souleymane Téliko se déchaîna et m’accusa d’avoir une mauvaise réputation, pour avoir été poursuivi, du temps où j’étais greffier, de viol et d’escroquerie. L’accusation ne pouvait être ignorée. Je demandais au Tribunal que la déclaration soit dûment consignée dans le plumitif d’audience, car j’entends lui donner une suite judiciaire.
Les avocats de la partie civile ont soutenu que les preuves brandies ne sauraient être suffisantes, car j’avais évoqué à l’émission «Grand Jury» un «rapport de l’Union européenne» et que seul un rapport estampillé Union européenne serait la bonne preuve. L’argument a pu faire sourire de nombreuses personnes présentes dans la salle. Moi même dans un rire, je les ai nargués en disant : «Si j’ai parlé d’Union européenne, c’est peut-être un lapsus linguae, à une émission radio, mais que le fond demeure incontestable et le document est bel et bien un document officiel émanant d’une institution de l’Union africaine.» Peut-être qu’il ne fallait pas parler de «lapsus» ou de langue qui aurait fourché, car c’est ce que beaucoup de personnes ont voulu retenir de ce procès et cela a été présenté, dans certains médias, comme «une reculade de Madiambal».
Les âpres négociations avec Souleymane Téliko avant le verdict
Je dois avouer que j’étais sorti de l’audience, soulagé et assez confiant. N’empêche, j’ai immédiatement saisi le ministre de la Justice pour lui demander, au regard de la loi organique portant Statut des magistrats, de me donner l’autorisation de poursuivre Souleymane Téliko devant la Chambre criminelle de la Cour suprême. J’attends encore sa réponse. De même, j’ai saisi le bâtonnier de l’Ordre des avocats d’une plainte disciplinaire contre Me Bamba Cissé, un des avocats de Souleymane Téliko, qui m’avait copieusement insulté à la barre. J’ai indiqué au Bâtonnier que l’attitude de nombreux avocats à l’endroit de justiciables à qui ils manquent de respect, qu’ils injurient, vilipendent, dénigrent et jettent publiquement en pâture ne saurait être conforme aux bonnes règles professionnelles et déontologiques. Ironie du sort, un des avocats qui me brocardaient devant la barre me trouva au parking du Tribunal, à la fin de l’audience, pour me témoigner de sa sympathie et de son estime. Mon fils Serigne Saliou Diagne, administrateur du journal Le Quotidien, qui était à mes côtés, a failli vomir d’horreur devant une telle duplicité. Je lui prodiguai, m’inspirant de Richard Kipling : «C’est une leçon de vie. Tu seras un homme mon fils, quand tu arriveras à comprendre le jeu de rôles des personnes sans accepter de te renier.»
A la fin du procès, de nombreuses personnes du monde judiciaire ainsi que des journalistes m’ont approché afin de chercher à faire la médiation pour calmer l’ardeur des deux parties. Je partage avec Souleymane Téliko des amis communs. Je reçus chez moi deux d’entre eux, le vendredi 11 juin 2021 (un ancien magistrat et un Professeur de Sciences juridiques), qui se sont dit très peinés par cette situation. Ils avaient préalablement recueilli l’accord de principe de Souleymane Téliko de trouver une formule pour empêcher le rendu d’un verdict quelconque par le Tribunal. Un rabat du délibéré pourrait en effet être demandé pour formaliser le désistement de la partie civile. Pour ma part, je devais accepter, dans un accord écrit, de «retirer toute caractérisation qui aurait pu conduire Souleymane Téliko à saisir la justice et qu’il retirait, de son côté, les accusations qu’il avait portées contre ma personne». J’avais accepté le principe d’un règlement amiable, mais je tenais à ce que l’accord précise que les accusations faites par Souleymane Téliko étaient totalement fausses et dénuées de tout fondement. Plusieurs moutures ont pu être échangées pour, disaient les médiateurs, éviter d’humilier qui que ce soit. J’insistais sur la nécessité de clarifier la question des accusations de viol et d’escroquerie d’autant plus que, par un heureux hasard, l’un des médiateurs se trouvait être le chef du personnel au ministère de la Justice du temps où je prenais mes fonctions de greffier et jusqu’à ma démission volontaire de la Fonction publique sénégalaise. Je trouvais que cette personne était un témoin privilégié des conditions dans lesquelles j’avais eu à exercer les fonctions judiciaires et qu’en conséquence, elle peut attester de la fausseté des affirmations de Souleymane Téliko. Notre ami m’affirma qu’il a bien eu à le faire savoir à Souleymane Téliko.
Mais le mardi 15 juin 2021, dans la soirée, après que mon avocat Me Baboucar Cissé venait d’envoyer la version que je considérais comme la dernière, la rumeur a circulé que le Tribunal avait fini de délibérer, que le verdict qui sera rendu le jeudi 17 juin 2021 condamnait Madiambal Diagne à une peine de 3 mois de prison et à payer la somme de 10 millions de francs à Souleymane Téliko. J’ai eu à insister auprès de journalistes d’au moins trois organes de presse, qui étaient informés, de ne pas publier l’information. J’expliquais que ce serait une grave violation du secret des délibérations et que cela jetterait le discrédit sur l’institution judiciaire. Je dois dire que certains de mes proches n’étaient pas de cet avis, considérant qu’à la guerre comme à la guerre. De toute façon, à partir de cet instant, Souleymane Téliko et ses conseils n’ont plus donné de suite à la médiation. Le mercredi matin, j’eus une discussion avec Me Baboucar Cissé, lui demandant de ne surtout pas relancer l’autre partie. Effectivement, la messe était bien dite. Le lendemain, le jeudi 17 juin 2021, le verdict a été rendu.
Pour ma part, je poursuivrai inlassablement le combat de la préservation de mes droits devant les institutions judiciaires par toutes les voies de droit. Si, en dernier ressort, je sortais condamné, j’accepterais stoïquement la peine et je n’attendrais pas d’être appelé pour l’exécuter. Que nul n’en ignore ! Il me plaira de saluer le courage de mes conseils Me Baboucar Cissé et Me Abdou Dialy Kane qui avaient tout à perdre en assurant ma défense et n’avaient peut-être à gagner que la satisfaction d’avoir défendu la veuve et l’orphelin pour faire honneur à leur serment d’avocat.
Pour l’heure, mes avocats ont interjeté appel le… 18 juin 2021. Comme De Gaulle en 1940, nous avons perdu une bataille, mais pas la guerre.