Le Sénégal a un grand gap à combler en termes d’approvisionnement en médicaments. Les médicaments vendus sur le marché sénégalais sont fabriqués pour une bonne partie en Asie et transitent par la France avant d’arriver au pays de la Téranga. Après le départ de l’américain Pfizer qui a licencié son personnel en 2017 et transféré ses activités au Maroc, Médis, la firme pharmaceutique tunisienne qui avait racheté le laboratoire Sanofi (Winthrop), a mis au chômage technique ses 320 salariés à Dakar.
Rien de rassurant pour le Sénégal qui, en 2018, a importé plus de 126 milliards de CFA en médicaments. Aujourd’hui, à l’heure où l’espoir renaît avec la production de la chloroquine pour traiter provisoirement les malades du coronavirus, le pays cherche à se doter d’une industrie pharmaceutique « capable de rivaliser avec les grands groupes ».
Alors que les négociations sont en cours entre l’Etat du Sénégal et Médis pour une reprise de ses activités, le groupe Téranga Pharma a pris le relais de l’usine Pfizer à Dakar. Il dévoile ses ambitions et se positionne comme une alternative à la demande urgente de fabrication de médicaments au Sénégal et sa distribution en Afrique.
« Plus de 75% des profits liés au marché du médicament quittent le Sénégal pour l’étranger »
Sa fermeture est effective depuis décembre 2017. A Dakar, Pfizer produisait principalement des comprimés et des médicaments liquides non stériles destinés aux marchés sénégalais et ouest-africain, dont les anti-paludiques Camoquin Range et Amodiaquine/Artesunate et le complément en fer Ferrostrane, renseignait le magazine Jeune Afrique, après l’annonce de la fermeture de l’usine Pfizer installée dans la Zone franche industrielle de Mbao.
Le groupe américain a ainsi décidé de quitter la capitale sénégalaise pour transférer ses activités dans son usine établie dans la banlieue de Casablanca, au Maroc. « Nous pouvons à ce jour vous confirmer qu’une partie de notre production sénégalaise sera transférée sur notre site d’El Jadida, à 100 kilomètres de Casablanca au Maroc, où nous sommes en capacité d’accueillir ces nouvelles activités », justifiait Pfizer, dont la place libérée à Dakar, est désormais occupée par le groupe Téranga Pharma qui a repris l’usine de Mbao depuis juillet 2019 et compte se lancer, très prochainement, dans la production et la distribution de médicaments vers l’Afrique.
Le groupe Teranga a acquis les installations et une partie des équipements appartenant à Pfizer suite à un appel d’offres lancé par Pfizer en 2018. Le site lui a été attribué suite à un deuxième appel d’offres organisé par l’Apix.
« Assurer la souveraineté pharmaceutique du Sénégal à l’horizon 2029 »
Pour Docteur Mouhamadou Sow, directeur général de Téranga Pharma, il s’agit d’une nouvelle industrie pharmaceutique sénégalaise créée par des actionnaires sénégalais composés de plus de 600 pharmaciens, médecins, autres personnels de santé et d’investisseurs qui misent sur l’expertise locale en vue d’« assurer la souveraineté pharmaceutique du Sénégal à l’horizon 2029 ».
Une vision qui s’appuie sur trois axes stratégiques que sont : la production des médicaments génériques de marque Téranga (médicaments les plus utilisés au Sénégal et en Afrique de l’ouest), la mise en place d’un Centre de distribution de médicaments sous la forme d’une plateforme logistique et la Production de médicaments pour les grands groupes pharmaceutiques (sous-traitance). Dans le cadre de la valorisation de la biodiversité sénégalaise, le groupe Téranga Pharma en collaboration avec les universités sénégalaises promet de promouvoir la production de phytomédicaments de marque Téranga.
Parmi les objectifs intermédiaires, ajoute Docteur Sow, la production de médicaments pour 90% des maladies les plus fréquentes au Sénégal, réduire la rupture des médicaments, diminuer la vente potentielle de faux médicaments, diminuer la sortie des devises, réduire le chômage des jeunes pharmaciens. Il estime que « 90% des profits devraient rester dans le pays. Or, aujourd’hui il n’y a que 25% des profits qui restent au Sénégal ».
Produire plusieurs médicaments fabriqués en Asie et consommés en Afrique
Ainsi, pour faire de Dakar un hub pharmaceutique en 2025-2026, et assurer la souveraineté pharmaceutique à l’horizon 2029, le groupe qui ambitionne d’être une multinationale et devenir une entreprise communautaire, envisage de « produire 90 % des médicaments qui soignent 90% des maladies les plus fréquentes dans l’espace Uemoa » en vue d’un meilleur approvisionnement du marché.
« Nous sommes dans la mise en œuvre et pensons que nos médicaments, les premiers lots de validation, seront faits en mai 2020 », annonce-t-il.
Quid des enseignements à tirer de la crise sanitaire liée au coronavirus ? En dépit des déficits relevés au plan infrastructurel, sanitaire, les autorités sénégalaises ont sans doute eu le temps de préparer la riposte au Covid-19 qui a fait des milliers de victimes en Chine, en Europe et aujourd’hui aux Etats-Unis. Mais elles redoutent une contamination à grande échelle qui pourrait mettre à rude épreuve les structures sanitaires du pays. Compte non tenu du coup de frein donné à la production de médicaments au Sénégal. « Le première leçon à tirer de cette épidémie, c’est la souveraineté. Aujourd’hui nous avons besoin de la chloroquine et la chloroquine n’est pas fabriquée au Sénégal. Nous devons produire les médicaments dont nous avons besoin, il ne faut pas attendre d’avoir des problèmes pour réagir. Si nous étions en situation de production nationale, on aurait 6 mois de stocks qui sont là et qui font que nous n’aurions pas de problème de disponibilité de chloroquine. Avec Téranga Pharma, les médicaments qui sont ciblés sont les médicaments qui répondent aux besoins actuels et futurs des Sénégalais. Lorsque Téranga Pharma commencera sa commercialisation, beaucoup de médicaments ne seront plus en rupture, parce que nous allons anticiper sur ces ruptures, réduire de 90% la rupture de médicaments au Sénégal ».
Pour réussir son pari d’atteindre la souveraineté pharmaceutique à l’horizon 2029, Téranga Pharma veut s’appuyer sur l’Etat, le ministère de la Santé, l’administration et espère bénéficier des exonérations fiscales, « un soutien pour une meilleure maîtrise de nos coûts. Car, en matière d’industrie pharmaceutique, les charges pour maintenir un niveau de qualité irréprochable sont énormes. Toutes les exonérations qui ont été accordées aux groupes étrangers, c’est ce que nous demandons à l’Etat du Sénégal. Si nous avons ces appuis-là, nous pourrons faire mieux que ces entreprises étrangères qui étaient là et qui sont repartis et ont tiré profit de notre pays ».
Covid-19 : Tous les stocks de chloroquine réquisitionnés par l’Etat
Dans le contexte actuel de propagation du coronavirus, si la chloroquine est aujourd’hui autorisée en traitement du Covid-19, sa production au Sénégal ne devrait pas constituer un souci majeur, à en croire le directeur général de Téranga Pharma. Selon nos informations, le ministère de la Santé a réquisitionné les stocks de chloroquine. Il s’agit du stock d’immard (200) d’Hyquin 200 et de Plaquenil 200 qui ont été mis à la disposition de l’Etat du Sénégal.
La chloroquine, pour rappel, a été abandonnée depuis 2002 et n’est plus fabriquée au Sénégal. Sanofi l’a arrêtée après que l’Oms a changé de protocole dans le traitement du paludisme. La seule production de chloroquine était dorénavant destinée aux maladies chroniques, aux maladies auto-immunes (polyarthrite rhumatoïde, diabète de type 1, lupus érythémateux, maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI)).
Son regain d’intérêt pour les malades du Covid-19 la replace au centre du débat scientifique avec les résultats obtenus par le natif de Dakar, Pr Didier Raoult, directeur de l’IHU Méditerranée infection à Marseille, en France.
Les effets du traitement à la chloroquine sur les patients Covid-19 à Dakar
En attendant que vaccin qui pourra délivrer l’humanité du coronavirus, le traitement à la chloroquine suscite un espoir pour les malades et leurs familles. « J’ai essayé l’hydroxychloroquine pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’il y a les résultats préliminaires du professeur Raoult sur un petit nombre de patients. Parce que nous sommes en situation d’urgence sanitaire mondiale. Parce que nous avons besoin de traiter les patients très vite, pour libérer des places et prendre en charge d’autres patients. Le rapport bénéfice-risque était en faveur du bénéfice. C’est pour cela que nous avons commencé à traiter nos patients avec l’hydroxychloroquine, en ayant quand même la précaution de demander leur consentement préalable », confiait, le Professeur Moussa Seydi, chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital Fann de Dakar qui continue d’accueillir les malades du coronavirus.
Selon les spécialistes de la santé, « aujourd’hui, il est difficile de fabriquer la chloroquine tout de suite parce qu’elle est abandonnée. Il faut au moins un an pour la fabriquer, du fait de la procédure ».
Mais pour répondre à l’urgence, Téranga Pharma, dit avoir un partenaire qui peut le lui fournir dans les trois mois. Parce que, explique Docteur Mouhamadou Sow, quand un produit a été abandonné, il y a toute une procédure pour relancer l’activité de production et cela prend du temps.
« Il faut faire des validations, à savoir valider les locaux, des équipements, des procédés et des fournisseurs. La validation prend 4 étapes et chacune dure au moins deux à trois semaines, voire un mois selon les problèmes trouvés. A chaque fois qu’un problème est trouvé, il faut le corriger avant de passer à une nouvelle étape. Après la validation du fournisseur, il faudra ensuite s’approvisionner en matière première en Inde ou en Chine où il est aujourd’hui interdit de l’exporter à cause du Covid-19 et de leurs propres besoins. Il faut ensuite valider la substance active avant de produire des lots de validation, ce qui prend trois à cinq mois. Avant que la première boîte ne soit commercialisée, cela prend au moins 1 an. Vouloir le fabriquer tout de suite, dans l’urgence, c’est utopique ».
Supporter le volet industriel et pharmaceutique du plan de riposte contre le Covid-19
Aujourd’hui, devant l’urgence d’approvisionner le marché sénégalais voire africain, l’Etat du Sénégal a pris langue avec Médis qui a récemment envoyé ses 320 employés au chômage technique. Mais selon certains spécialistes de la santé, les problèmes financiers évoqués par Médis pour justifier sa restructuration sont peu crédibles. « Est-ce que Médis a fait les investissements qu’il aurait dû faire pour développer l’usine ? Les pertes annoncées sont incompréhensibles. Il est impossible qu’une entreprise puisse tomber en faillite en deux ans et demi. Cela veut dire que soit l’étude n’a pas été bien faite, ce qui est peu probable étant donné que Sanofi est une multinationale qui ne donne pas de faux chiffres à son acquéreur. Quand Sanofi achetait l’usine de Médis, il savait bien la réalité. Il y a quelque chose qui cloche », souffle un des nos interlocuteurs spécialiste de la santé.
Pour le directeur de Téranga Pharma, « L’erreur qu’on a faite depuis le début de l’indépendance, c’est d’avoir fait confiance aux étrangers et à chaque fois, ils nous ont toujours lâchés. Nous sommes des Sénégalais, nous restons ici et les profits générés par le marché du médicament resteront dans ce pays. Aujourd’hui, la réalité du médicament c’est que plus de 75% des profits des médicaments ressortent ».
«Avec Teranga Pharma, on va inverser cette tendance, faire de sorte que d’ici 5 ans, les 90% restent au Sénégal tout en assurant la disponibilité et l’accessibilité à 90% des médicaments d’intérêt national et sous régional. Pour ce faire, nous avons besoin de l’appui manifeste et d’un soutien patriote de l’Etat du Sénégal », plaide Teranga pharma qui estime être « la solution réelle et concrète pour supporter le volet industriel et pharmaceutique du plan de riposte contre le Covid-19 et pour répondre au besoin de souveraineté pharmaceutique exprimé par le Chef de l’Etat ». En attendant, la balle est dans le camp des autorités de l’Etat.