Qu’est-ce que la gendarmerie a-t-elle pu découvrir que l’Etat ne savait déjà ? (Madiambal Diagne)

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L’arrestation de plusieurs personnes, trouvées dans un établissement dédié par Serigne Modou Kara Mbacké à la rééducation de jeunes gens ayant emprunté des chemins de travers, défraie la chronique. Le guide religieux lui-même a annoncé la nouvelle, via le réseau social Facebook, en criant à de l’acharnement des Forces de l’ordre ; surtout que ces dernières semaines, Serigne Modou Kara a eu à exprimer des positions défavorables au régime politique du Président Macky Sall. La maréchaussée a estimé devoir éclairer l’opinion publique sur les raisons et résultats de cette opération qui passerait pour une banale opération de routine, dans le cadre d’une enquête judiciaire et qui lui aura permis de démanteler un vaste réseau criminel. Dans sa communication, la gendarmerie soutient que «les éléments de la Section de recherches de la gendarmerie s’étaient transportés à Ouakam pour une affaire de vol de scooters. Une fois sur les lieux, trois scooters, produits du vol, ont été retrouvés.

Des personnes ont été également retrouvées sur les lieux. Elles étaient toutes soumises à des actes de torture. Elles étaient âgées entre 17 et 42 ans et souffraient de malnutrition. Elles ont été toutes transportées à l’hôpital Principal de Dakar avec l’aide de la gendarmerie. Nous nous sommes rendus dans d’autres sites comme Guédiawaye où 213 personnes ont été retrouvées. A Malika, 22 personnes ont été retrouvées et à la Zone B, 100 dont 7 mineurs et une jeune fille. Un des geôliers a été retrouvé avec de la drogue. Ce dernier a trouvé refuge au domicile du guide religieux Serigne Modou Kara Mbacké. Son fils l’a arrêté avant de le remettre à la Section de recherches de la Gendarmerie nationale. Une enquête a été ouverte pour des faits de maltraitance sur des personnes et trafic de chanvre indien. L’enquête est en cours et les 43 personnes arrêtées seront mises à la disposition du procureur de la République. Les cerveaux sont au nombre de deux. L’un se fait appeler «colonel» et le second «commandant», a confié le colonel Pape Diouf à Libération Online.

Cette affaire ne manque pas de susciter un certain émoi, mais si on considère les faits, on pourrait dire qu’il n’y aurait rien de nouveau qui vient d’être découvert. Que des responsables de ces lieux de maltraitance se fassent appeler par des grades militaires ? Serigne Modou Kara Mbacké lui-même ne se fait-il pas déjà appeler «général» au Palais présidentiel, par les chefs d’Etat ayant pour nom Abdoulaye Wade ou Macky Sall ? Donc, un «général» devrait logiquement se faire seconder par des «colonels» et des «commandants», ainsi que des «capitaines», des lieutenants, des adjudants, des sergents, des caporaux et on ne sait encore !

Combien de fois il a été déploré les uniformes et grades militaires et les parades en rangs, avec des armes à feux bien visibles, des disciples de Serigne Modou Kara ou de Serigne Moustapha Sy, responsable moral des Moustarchidines ? Les autorités de l’Etat ont toujours fait la politique de l’autruche, ou ont même encouragé cette situation, espérant toujours sceller des alliances électorales avec des groupes qui contrôlent des hordes de fidèles qui ne discuteraient pas un mot d’ordre ou une consigne de vote. Pendant ce temps, tous les principes de la République et de l’Etat de droit sont foulés au pied. Ces groupes militaro-religieux ont pu constituer des sanctuaires, assurant l’impunité à leurs membres et adeptes. Combien de fois les médias ont rendu compte de délinquants ou criminels pourchassés par les Forces de l’ordre et qui ont trouvé refuge au domicile de tel ou tel chef religieux et ont pu ainsi échapper à l’action de justice ? Des groupes de personnes peuvent vous barrer le passage dans la rue ou vous importuner et déranger leur voisinage sous prétexte d’être au service de leur guide religieux.

Les Américains alertaient sur le bas­culement d’une «jeunesse désemparée»

La gendarmerie affirme avoir trouvé de la drogue dans les locaux visités. Il est de notoriété publique que le «Diwaan», nom du groupement de fidèles du guide religieux, cache des trafics en tous genres. Il est aussi de notoriété publique qu’une certaine impunité est assurée pour que bien des adeptes n’hésitent d’user de violence contre toute personne et fasse taire tout discours contraire. Les disciples de Serigne Modou Kara peuvent se permettre impunément d’insulter, de menacer de mort des journalistes ou des leaders d’opinion, sans pour autant que les forces de sécurité ne daignent intervenir. Il leur est arrivé plus d’une fois de passer à l’acte en déversant une violence inouïe contre des personnes et des biens, sans que l’Etat censée garantir et assurer notre sécurité à tous, ne daigne réagir. Le saccage des locaux du groupe de presse Wal Fadjri, le 25 septembre 2009, est encore présent dans les esprits. Sidy Lamine Niasse, le patron de cette entreprise de médias, avait été enlevé de force par des personnes habillées en tenue militaire ou paramilitaire et dûment identifiées. Les domiciles des autres responsables du groupe de presse avaient fait l’objet d’attaques de ces disciples déchaînés. En outre, des cas de meurtres impunis ont été enregistrés et sont imputables à des disciples du marabout, comme celui de ce berger tué en mai 2019 à Bambilor. En effet, Thierno Sow conduisait un troupeau lorsque l’une des bêtes est entrée dans le champ appartenant au guide religieux, et en représailles de ce crime de lèse-majesté, un disciple a ouvert le feu sur le guide du troupeau de bêtes.

Qui va prétendre apprendre que par la publication des câbles de Wikileaks en 2011, l’ambassadrice des Etats-Unis d’Amérique, Mme Maria Bernicat, considérait depuis plusieurs années, Serigne Modou Kara comme un «gourou» auquel s’identifie une certaine jeunesse et s’étonnait de son impunité. La diplomate écrivait notamment que «Kara est le gourou d’un grand nombre de jeunes urbains mécontents et appauvris. Ses disciples l’appellent «Général». Et lui de facto, conduit un grand groupe de militants qui lui donnent un pouvoir de négociation substantiel avec le parti au pouvoir». Combien de parents désemparés ont appelé sur les ondes des radios et télévisions pour dénoncer la disparition de leurs progénitures tombées entre les mains du mouvement de Serigne Modou Kara. Aucune enquête n’a été ouverte sur de telles allégations. Alors, on ne devrait pas exclure le risque de découvrir dans des arrière-cours les pires des tragédies et des tombes de personnes ayant perdu la vie à l’occasion peut-être de rixes, de tortures ou d’actes de «rééducation». Qui donne à ces gens le droit et l’autorité de redresser à la dure, avec des actes de violence, pour ne pas dire de barbarie, des êtres humains ? Ils ont eu le temps de créer plusieurs centres disséminés à travers le pays. La formation militaire qui leur a été prodiguée à l’occasion, ainsi que le formatage pour ne pas dire le dressage, dont ils ont manifestement fait l’objet peuvent laisser augurer que ces troupes pourraient être utilisées dans des projets néfastes à la paix civile. L’Etat sénégalais qui a encouragé ce jeu pendant bien des années et s’en est servi pour des desseins politiques, est le premier responsable de toute cette situation. Les forces de défense et de sécurité n’ont cessé d’alerter sur l’existence tolérée de milices d’obédiences confessionnelles dans le pays et du risque pour la stabilité sociale et la paix civile.

* Madiambal Diagne

 

 

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