La publication, ce vendredi 31 janvier, de trois rapports de la Cour des comptes, mettant à nu de graves fautes de gestion dans plusieurs agences, directions et ministères du pays, a remis au goût du jour la lancinante question des poursuites judiciaires à la suite de ces rapports. Prétexte pour Seneweb de regarder dans le rétroviseur pour constater que l’impunité semble s’ériger en règle d’or.
S’exprimant ce lundi sur les rapports 2015, 2016 et 2017 de la Cour des comptes, le chef de l’Etat, Macky Sall, a fait savoir que «beaucoup de managers sont (déjà) attraits devant la chambre de discipline financière. Peut-être que cela ne fait pas l’objet de publicité et c’est tant mieux ainsi. Mais, des sanctions réellement pécuniaires sont faites et des sanctions qui nécessitent que la justice se prononce, seront toujours transmis au niveau des juridictions». Une nouvelle déclaration qui pourrait susciter l’espoir si l’on sait qu’au Sénégal, les jours se suivent et se ressemblent. On prend les mêmes et on recommence. Presque chaque année, des rapports d’audit sont publiés par des organes de contrôle comme la Cour des comptes, l’Inspection générale d’Etat (Ige), l’Agence de régulation des marchés publics (Armp), l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), entre autres. Mais, en dépit du tollé soulevé par les malversations et autres manquements relevés par ces rapports, il demeure un réel problème de suivi.
La dernière publication en date, est celle des rapports de la Cour des comptes dirigée par Mamadou Faye. Ces contrôleurs ont dévoilé des manquements notoires dans la gestion des deniers publics. Mais, un bruissement d’un scandale qui disparaît avec la cacophonie qui risque de pas ébranler l’impunité.
En tout cas, à en croire le coordonnateur du Forum civil, il revient aux autorités publiques, mais également à la justice de se saisir des dossiers qui ont été transmis par les différents corps de contrôle et de faire l’état des lieux afin d’en donner une suite.
«La culture de l’impunité devrait être bannie au Sénégal. Les audits sont toujours pertinents, mais tout dépend du réceptacle», déclare Birahim Seck.
«Promotion»
Quoi qu’il en soit, les fautifs sont souvent promus à des postes de responsabilité plus élevés. En plus clair, il est constant que des ministres et des directeurs sont régulièrement épinglés sans que cela n’impacte leur fulgurance. Et le cas du dossier de l’ancien directeur général du Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud) est cité en exemple le plus souvent par nombre d’acteurs.
En effet, le rapport de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) publié en 2016 et qui concerne les activités de l’année 2014-2015 avait épinglé la gestion de plusieurs personnalités dont Cheikh Oumar Anne, actuel ministre de l’Enseignement supérieur, anciennement directeur du Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud).
Des charges relatives à des subventions irrégulières et au détournement de deniers publics, de faux et usage de faux qui avaient poussé l’Ofnac à formuler des recommandations sur ce cas précis. L’organe dirigé alors par Nafi Ngom Keita avait demandé que le responsable politique de Ndioum soit non seulement relevé de ses fonctions de directeur du Coud, mais que toutes les mesures soient prises pour qu’il ne soit plus nommé à la tête d’une institution publique. Peine perdue : le mis en cause n’a jamais été entendu sur ce dossier.
Toujours en 2016, Nafi Ngom Keita avait annoncé des enquêtes en cours sur plusieurs affaires dont celle concernant la délivrance de permis d’exploration pétrolière à la société Petro-Tim Limited, dans laquelle était impliqué Aliou Sall, frère du chef de l’Etat. Pour Mme Keita, sa décision de fouiller dans cette affaire avait été prise à la suite de plusieurs plaintes déposées par des citoyens et des associations concernant ce dossier. Un dossier qui, malheureusement, ne sera jamais traité. Et Nafi Ngom Keita sera relevé de ses fonctions par décret présidentiel, quelque temps après cette annonce. Le dossier Petro-Tim sera plus tard déterré par un reportage de la chaîne Bbc. La suite, on la connait.
Ce qui a fait dire à Mody Niang, dans une de ses tribunes, que dans certains dossiers, le chef de l’Etat «a préféré faire le mort». Il rappelle dans la foulée que «des scandales, de gros scandales, nos structures de contrôle en ont toujours mis en évidence». Citant ainsi le rapport public sur l’Etat de la gouvernance et de la reddition des comptes présenté par l’Ige en juillet 2013, comme ceux des années 2014 et 2015, il dira que les «actes caractéristiques de mal gouvernance financière sont légion dans tous ses rapports».
Quelques exceptions
Il faut cependant reconnaître qu’au Sénégal quelques exceptions à cette «règle» ont été quand même notées. Le cas le plus célèbre est celui de Khalifa Sall, l’ancien maire de Dakar, épinglé par une mission de l’Inspection générale d’Etat. La transmission au Parquet, par le chef de l’Etat, Macky Sall, du rapport de ce corps de contrôle rattaché à l’Etat, mettant en cause la gestion à la mairie de Dakar a abouti à l’incarcération de Khalifa Sall. Poursuivi pour détournements d’un montant global de 3 milliards de Fcfa, il sera condamné avant de bénéficier d’une grâce présidentielle.
Sur la ‘’short-list’’ des victimes des corps de contrôle, il y a aussi les deux anciens directeurs généraux de l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (Artp), en l’occurrence Ndongo Diao et Daniel Goumbalo Seck, poursuivis pour délits financiers et condamnés à payer 52 millions de Fcfa. Ils étaient jugés par la chambre de discipline et financière de la Cour des comptes pour des manquements dans le cadre des passations de marchés sans publicité suffisante par entente directe sans preuve.
A rappeler que la procédure a été enclenchée suite à un présumé scandale de 10 milliards de Fcfa à l’Artp, dans la période 2005-2012 et sur la base d’un rapport de l’Inspection général d’Etat (Ige).
Il y a aussi l’affaire Modibo Diop et compagnie. L’ancien directeur général de l’Agence sénégalaise de l’électrification rurale (Aser), incarcéré depuis décembre 2010, a été lui aussi condamné, le 17 septembre 2013, à 5 ans de prison ferme pour détournement de deniers publics, faux et usage de faux avec ses co-prévenus (Pape Diallo, un financier, Ibrahima Dieng, un électronicien, Abdoulaye Diop, agent administratif, Mahanta Thiam, le responsable des ressources humaines et le coursier Fara Diallo Thioune).
L’autre affaire qui a eu une suite judiciaire, c’est le dossier Ndèye Khady Guèye, ex-patronne du Fonds de promotion économique (Fpe) devenu Bnde, épinglée dans le rapport de la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif), publié en 2013.
En effet, jugée le 20 avril 2017, par le Tribunal correctionnel de Dakar, elle a été déclarée coupable du chef de prise illégale d’intérêts et de blanchiment de capitaux et l’a condamnée à 4 ans avec sursis. Son co-prévenu, Babacar Mané, n’a pas été épargné non plus. Poursuivi pour les mêmes délits, il a pris 2 ans assortis de sursis. Les prévenus devraient également payer solidairement 500 millions FCfa en guise de dommages et intérêts même si le parquet avait requis 3 ans assortis de sursis.