Remplacement du FCFA par l’ECO, attention aux revers de la… »monnaie »

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L’adoption de l’Eco par les pays de l’Uemoa à partir de juillet 2020, annoncée conjointement par le président ivoirien Alassane Ouatera et le président français Emmanuel Macron est-elle vraiment un gigantesque pas accompli de la sous région ouest-africaine dans son affranchissement monétaire et économique? Car même si ce changement majeur, sur fond d’autonomisation économique, passe par une décentralisation des 50 % des réserves africaines du Trésor français vers d’autres réceptacles plus autonomes et par le retrait des représentants français des organes de gestion de la monnaie de l’Uemoa, force est de considérer aussi que l’ego gardera – pour l’heure – une parité fixe avec l’euro. Et la France jouant un rôle de « garant » en cas de défaut de l’un des États membres. Alors peut-on véritablement parler de changement dans l’autonomisation monétaire et économique lorsque l’on sait que le rapport monétaire reste sur le fond donc inchangé? Le remplacement du FCFA par l’Eco ne change rien tant que la parité entre l’Eco et l’euro reste fixe et indécemment à l’avantage de la France pour ne pas dire des économies européennes. Et même si elle était variable, cela ne protègerait pas pour autant plus nos économiques sans les préalables et l’attitude requise de la part de nos Etats. Explications.

Le FCFA avait été l’astuce trouvée par la France pour proroger sa domination et sa mainmise sur les ressources et les systèmes financiers et économiques de ses anciennes colonies. Jusqu’ici, les 14 États africains qui utilisent le franc CFA doivent déposer 50 % de leurs réserves en France, obtenant en contrepartie une convertibilité illimitée avec l’euro. Cela leur confère une certaine facilité pour le commerce international, car si un État de la zone franc ne peut pas assurer le paiement en devises de ses importations, la France « garantit » le versement des sommes correspondantes en euros.

L’éco peut être plus dangereux pour notre économie que le FCFA si…

Après l’entrée en vigueur de l’éco, les pays africains concernés disposeront eux-mêmes de 100% de leurs réserves. Une nouvelle donne qui sera d’autant plus inquiétante parce que les exposant plus à des risques de mauvaise gestion si l’on considère l’irresponsabilité et l’égoïsme de certains de nos dirigeants. L’autre danger réside dans l’éventualité qu’un État de la zone « Eco » ne pusse pas assurer le paiement en devises de ses importations. Soit il s’endette soit il expose ses populations à la pénurie des produits à importer. Les prédispositions pour une mise en vigueur effective et efficiente font encore défaut, et à plusieurs niveaux souvent indexés au sein de la CEDEAO. Même avec la pression sur le FCFA qu’ils cherchent à évacuer, le pays de l’UEMOA doivent se rendre à l’évidence de leur inconvenable impréparation comme en atteste encore aujourd’hui les écarts dans le suivi des critères de convergence maîtrise de l’inflation, des déficits, de la dette, des fluctuations de change et des réserves extérieures – entre les pays de la zone UEMOA, qui les respectent dans l’ensemble.

La France qui s’est engagée pour un retrait, plaide toujours en faveur du maintien de l’arrimage sur les politiques monétaires européennes. Pour l’Elysée, pas question a priori de revenir sur la « parité fixe » de la devise avec l’euro (1 euro = 655,96 francs CFA qui devra donner donc si l’on suit la « logique élyséenne » 1 euro = 655,96 Eco). Alors que la fixité des parités réduirait selon Macron le risque de change pour des investisseurs ou pour des exportateurs et risques d’inflation. Alors que cette parité fixe est l’un des premiers facteurs bloquants de la compétitivité des entreprises africaines. Et cela va au-delà, puisqu’il faut considérer ces engrenages handicapants jusque dans la compétitivité économique, laquelle peut être scindé en compétitivité-prix et en compétitivité structurelle. La compétitivité-prix relève de la capacité à produire des biens et des services à des prix inférieurs à ceux des concurrents pour une qualité équivalente, alors que la compétitivité structurelle relie la compétitivité aux effets de structure. Il est question de la capacité à vendre ses produits ou services indépendamment de leur prix mais en faisant valoir d’autres arguments (qualité, innovation, services après-vente, image de la marque, délais de livraisons, capacité de s’adapter à une demande diversifiée….). Et ce même si la compétitivité peut être déterminée par plusieurs facteurs en dehors du prix ou taux de change nominal (cours de la monnaie).

Autre chose qu’il faut savoir, c’est que ce changement annoncé ne changera au fond rien si la nouvelle monnaie est maintenue au même niveau et dans les mêmes conditions que le défunt FCFA.

La situation du FCFA à laquelle l’on tente de mettre fin, a été inédite par ses conditions et sa durée. A y penser, on se demande comment l’Afrique a pu survivre à cet arrimage monétaire pendant plus d’un demi siècle? La réponse cette survie de l’Afrique dans de telles conditions est à trouver dans l’immensité et la diversité de ses ressources naturelles et à ses volumes d’exportation. Une considération qui devrait encore nous faire prendre conscience des atouts, de la place et position qui doit être ceux du continent dans l’échiquier des échanges commerciaux internationaux.

L’enjeu réel : la compétitivité économique de la sous-région

Un nouvel arrimage plus « raisonnable », une « parité » variable, et dont les fluctuations se feront en tenant que compte des aléas et autres chocs exogènes sont fondamentaux si l’on veut marquer la rupture. Là encore faudrait-il que nos dirigeants et spécialistes de ces questions soient plus vigilants et plus ingénieux tant dans les négociations que dans la mise en application. Les agissements monétaires doivent se faire sur fond d’intégration de la notion de compétitivité économique pérenne. Car d’une part se limiter aux indicateurs du taux de change nominal ou du taux de change réel ne permet pas de prendre en compte les nombreux facteurs déterminants de la compétitivité économique. D’autre part, il urge que l’Afrique de se donner les moyens de faire face aux enjeux actuels et futurs, sachant qu’aujourd’hui l’indice de compétitivité en Afrique subsaharienne est de 45,2 sur 100, alors que la moyenne mondiale est de 60 (démontrant qu’aucun pays dans le monde n’est à 100% compétitif). En plus de classer la région comme dernière du classement mondial ; ce score indique surtout que l’Afrique subsaharienne n’atteint même pas le seuil minimum de la moitié de la note maximale, soit 50 sur 100.

L’Eco est une opportunité de changement à condition de savoir bien la positionner. Cela va au-delà des considérations monétaires. L’enjeu réel, c’est la compétitivité économique de la sous-région pour ne pas dire de l’Afrique. Si l’Afrique rate ce virage stratégique, ce sera parti pour une troisième ère de…colonisation.

* Chekh Mbacké Sène

Expert en intelligence économique

 

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