28 décembre 2007-28 décembre 2018, déjà 11 ans que disparaissait le cinquième khalife de Bamba. Il a à son compte un long khalifat : 17 ans (1990-2007 à la tête du Mouridisme, sans qu’on puisse lui reprocher grand-chose.
«Grand-père tu es sale et vilain.» Ils ont eu le culot de l’apostropher en des termes surprenants et on ne peut plus blasphématoires. Leurs relations étaient particulières. Singulières. Comme toujours, entre petits enfants et grands-parents. Les mômes entretenaient un commerce touchant et audacieux avec lui. Dans l’enceinte même de sa cour à Touba. Dans ses Daaras de Ndiapandal, Ndiouroul et de Khelcom. Partout. Ils lui disaient tout, il leur passait tout. L’enfant, ce don du Ciel, charmait plus que tout, le sage de Touba.
Devant une telle interpellation, juste un petit jeu entre petits enfants et leur grand-père, mais qui pouvait faire tomber des nues un fanatique, Serigne Saliou y voit un subtil moyen de les renvoyer au Créateur. Sa réponse, sourire aux lèvres, est pleine d’enseignement. Il disait à ses chéris, comme le laboureur à ses enfants : «Quand je suis sale, c’est bien moi, mais quand je suis vilain, ce n’est pas moi, c’est Dieu»
C’est cet homme, au-dessus de la mêlée, le dernier des ascètes, le dernier de ceux qui avaient transcendé les biens matériels et le lucre de ce bas monde, qui a tiré sa révérence le vendredi 28 décembre 2007, à 92 ans. La veille de sa mort, il avait commandé à son tailleur, des habits pour les bambins.
Pour ses innombrables bambins. «Le jeudi, la veille de son décès, le marabout m’a fait une commande de 7 00 tenues pour les enfants talibés», pleure Bara Ndiaye, 62 ans, tailleur attitré de Serigne Saliou. Ses yeux embués, il cherche ses mots, mais ne trouve que des maux :«C’est une perte immense pour la Ummah.»
Ce jour-là, au lendemain de sa disparition dans la cour de la maison à Touba du défunt Khalife, ses petits «amis» s’offraient la grande liberté de jouer à leur guise, sans que personne n’ose lever le petit doigt pour les interrompre, pour leur demander de respecter ce deuil qui étreint tout le Sénégal. De là où il repose désormais, Serigne Saliou n’aurait sans doute pas apprécié qu’on touchât à ses «vieux potes».
Pourtant, leur brutal orphelinat était évident et le vide se lisait étrangement dans leurs yeux d’enfant. Ils étaient plus qu’affectés par la perte de cet «éducateur» à la pédagogie peu ordinaire. Les petits compagnons de Serigne Saliou ont légitimement crié à-tue-tête : «Wooy funuy jeleeti maam, wooy 1» (Oh mon Dieu, grand-père est parti, nous sommes orphelins !)
Le vieux compagnon des mômes, faisait de sa proximité avec Dieu son sacerdoce. Il tenait à la piété, l’humilité et à la discrétion plus qu’à la prunelle de ses yeux. Il aimait répéter et conseiller :
«Les différends ne sont pas à exposer en public, il faut les résoudre dans la plus grande discrétion» Ces mots, sont parmi les derniers de Cheikh Saliou Mbacké, resté 17 ans au khalifat de son père, Bamba. Un «Grand homme», soufi accompli à l’incommensurable crédit moral, qui se raconte en mettant bout à bout des petits riens. De ces détails qui font la vie d’un «Saint» et qui, au détour d’une phrase, révèlent son incroyable stature…