Dans les coulisses du pouvoir au Tchad, l’heure est aux « consultations » durant lesquelles les membres du clan du président Idriss Déby Itno, décédé il y a deux semaines, « savent qu’ils peuvent tout perdre ».
« Ca ne s’arrête pas, tout le monde veut avoir l’avis de tout le monde avant de prendre la moindre décision », explique à l’AFP un membre de la haute administration du Tchad, pays pivot entre Afrique centrale et Sahel.
Dans ce pays semi-désertique à l’armée réputée l’une des plus solides de la région, partenaire privilégié de la France dans la lutte contre le jihadisme au Sahel, la stabilité est érigée en priorité.
Lorsque les militaires ont annoncé le 20 avril la mort au front du maréchal Idriss Déby, après trente ans au pouvoir, le pays « s’est réveillé sous le choc », dit un conseiller du président défunt.
« Toutes les composantes de la nation se sont retrouvées tétanisées, ça nous a sonnés », dit la même source. « Il n’avait pas de dauphin, pas de procédure (de succession NDLR), on n’est pas passés loin du délitement total, mais l’armée a pris les devants rapidement ».
« Le président Déby ne s’attendait pas à quitter ainsi brutalement la scène, si bien que personne ne semble avoir été réellement préparé pour le remplacer », confirme le chercheur Jérôme Tubiana.
Un Conseil militaire de transition (CMT) a été mis en place dès l’annonce du décès du maréchal, avec à sa tête un de ses fils, Mahamat Idriss Déby. Le nouvel homme fort du pays, qui s’est arrogé quasiment tous les pouvoirs, a dissous l’Assemblée et le gouvernement et promis des élections « libres et démocratiques » sous 18 mois. Un gouvernement de transition a été nommé dimanche par décret par la junte.
– « Garder la main sur l’appareil » –
L’armée combat toujours dans l’ouest du Tchad le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), et ce depuis le 11 avril, date de l’élection présidentielle, largement remportée par Idriss Déby. C’est dans cette région, à 300 km au nord de N’Djamena, que Déby a été tué.
L’armée a assuré avoir « mis hors d’état de nuire » plusieurs colonnes de rebelles.
Pour beaucoup, « le risque est moins la menace rebelle qui semble contenue que les remous à N’Djamena: les gens du système vont-ils réussir à garder la main sur l’appareil que Déby avait mis en place, ou d’autres vont-ils vouloir en profiter? », s’interroge un diplomate africain.
Les Zaghawa, petite minorité ethnique qui représente entre 3 et 5% de la population, originaire de la frontière tchado-soudanaise, ont le pouvoir depuis trente ans au Tchad. Idriss Déby, du sous-groupe Bideyat dans l’ethnie zaghawa, avait placé beaucoup de ses membres à de nombreux postes clés de l’appareil politico-militaire.
Lui-même craignait un coup de couteau dans le dos d’un membre de son ethnie: en 2019, il avait dû appeler à la rescousse l’allié français quand le groupe rebelle de son propre neveu Timan Erdimi, l’Union des forces de la résistance (UFR), marchait sur N’Djamena.
Les tensions intra-zaghawa sont « vives », dit Évariste Ngarlem Tolde, professeur de sciences politiques à l’Université de N’Djamena, qui ajoute « qu’on essaie de les étouffer pour ne pas faire chavirer le bateau ».
– Tensions –
Ces tensions sont là « depuis au moins les élections de 2016 », selon Jérôme Tubiana, mais « se sont accentuées depuis ».
« Elles ont repris fin février avec l’attaque de la maison de Yaya Dillo », estime M. Ngarlem Tolde. Yaya Dillo Djerou, neveu de Déby et ancien conseiller présidentiel avant de devenir l’un de ses plus farouches opposants lorsqu’il a décidé de se présenter contre lui à la présidentielle d’avril, avait fui après une tentative d’arrestation qui a tourné à la fusillade.
La mère de M. Dillo est décédée dans les échanges de tirs. L’opposant est finalement réapparu publiquement vendredi, et a « accordé son pardon à ceux qui (lui) ont fait du mal ».
Toutes les personnes interrogées s’accordent à dire qu’au sein du clan, l’heure est à la nécessaire réunion car « ils savent qu’ils peuvent tout perdre », dit l’un de ceux qui participent aux discussions internes, souvent nocturnes, après la rupture du jeûne du ramadan.
Sur WhatsApp, un message audio de Zakaria Idriss Déby, un autre fils du défunt, frère aîné de Mahamat, a circulé. « Nous avons plus que jamais besoin des uns et des autres. Ca n’est pas seulement mon père, c’est le père de toute une nation », a-t-il dit.
Les généraux du CMT, parmi les plus fidèles d’Idriss Déby, ont choisi Mahamat, qui dirigeait auparavant la garde présidentielle, aux bérets rouges caractéristiques.
Ce choix a fait grincer des dents, disent à l’AFP plusieurs sources. Notamment au sein du parti au pouvoir.
Dans ce contexte, s’interroge un observateur, les généraux « vont-ils rester soudés autour de Mahamat Idriss Déby? ».