Colette Sankara est l’une des sœurs cadettes du père de la Révolution d’août 1983 au Burkina. Comme les autres membres de la fratrie, elle s’illustre par sa modestie, menant une vie de foyer tranquille, loin des fracas des débats sur la vie tumultueuse de Thomas Sankara. A la faveur du 15 octobre 2019, marquant le 32e anniversaire de l’assassinat de son frère, elle a cependant accepté de lever un coin de voile sur la vie de son grand-frère. Dans son domicile du quartier Wayalguin de Ouagadougou, Colette s’est confiée, le 13 octobre 2019, sur quelques pans de la vie de Thomas Sankara. Morceaux choisis d’un récit intime et sans fard.
« Il est allé dans l’armée sans crier gare »
Sankara s’est engagé de lui-même dans l’armée, se souvient Colette. « De retour du lycée Ouezzin Coulibaly de Bobo-Dioulasso, où il a eu son BEPC, il a dit qu’il ne souhaitait plus y retourner mais qu’il voulait être militaire. J’étais encore petite et ce jour-là j’étais seule à la maison, quand il a décidé de partir. Il a pris une serviette, une brosse à dents et s’en est allé. Une semaine après, mon papa a informé ma mère qu’on l’a appelé au camp Guillaume Ouédraogo pour lui dire que l’enfant a demandé à devenir militaire et il a été inscrit. Ils ont alors demandé au père s’il acceptait le choix de son enfant. Le papa étant un ancien militaire, n’a rien trouvé à redire à la décision de Thomas. Quelques jours après, il est revenu à la maison, un week-end, habillé en tenue militaire. Nous étions tous là à le regarder. Le dimanche, nous l’avons raccompagné jusqu’au camp. C’est ainsi qu’il est resté là-bas, à étudier, rentrant les weekends pour nous rendre visite. Pendant les vacances, il venait rester à la maison. Il passait son temps à nous raconter sa vie au camp. Mais nous devions aussi, Pascal, Thomas et moi, aller chercher de l’eau pour la maman. Nous l’aidions à faire les travaux ménagers. C’est au camp qu’il a eu son Baccalauréat, avant de partir à Madagascar. Il nous a expliqué qu’on lui a donné un nom malgache, des décorations et une maison à la fin de sa formation, avant son retour définitif. »
Une formation très dure à Moscou et à Pau
« Chaque fois qu’il revenait à la maison, Thomas réunissait les jeunes du quartier et leur montrait comment fonctionne l’armée. Avec des photos et même un vidéo à l’appui, il restait des heures à montrer comment se faisait la formation, comment était la vie militaire. Cela pouvait durer jusqu’à minuit. Il arrive que le papa lui dise d’arrêter et de continuer le lendemain. Il a expliqué aussi, après Madagascar, sa formation de parachutiste en Russie et en France (à Pau). Il nous a raconté comment il a souffert au cours de cette formation. D’ailleurs à son retour de France, il avait le corps boursouflé et il a fallu le soigner. Le général Baba Sy à qui il est allé se confier a reconnu la dureté de la formation à Moscou et à Pau. »
Le début de l’entrée en politique
« Je vivais en Côte d’ivoire avec mon mari quand un de mes oncles est venu nous voir. Il nous a appris que l’on voulait nommer Thomas ministre. C’était sous le régime de Saye Zerbo (NDLR : il a été nommé en septembre 1981 secrétaire d’État à l’Information dans le gouvernement du colonel Saye Zerbo). Personnellement, j’étais opposée à cela. Et quand il est venu un jour à Abidjan, il est passé nous voir. Il disait avoir été instruit de voir la situation des boursiers burkinabè à l’extérieur. A cette occasion, je lui ai directement dit que je ne souhaitais pas le voir occuper un poste ministériel, comme cela se disait. Il est resté silencieux, sans me répondre. A son retour à Ouagadougou, il a vu la maman et lui a dit que dans la famille personne ne voyait d’inconvénient à sa nomination, sauf Colette. Il a expliqué à la famille le sens de son engagement en politique. Il nous a dit qu’il ne voulait rien, si ce n’est de s’occuper des jeunes diplômés en chômage. Il a dit qu’après sa mission, il quitterait ses fonctions car cela ne l’intéressait pas. »
Les visites-surprises à sa sœur Colette
On disait de Sankara qu’il pouvait se déguiser, de nuit, pour tourner en ville et voir ce qui se passe. Ce n’est pas un mythe. Sa sœur Colette, qui l’a reçu à plusieurs reprises, incognito, confirme : « J’étais là un soir, quand je l’ai vu déboucher dans la cour à vélo. C’était un vélo de course blanc. Il m’a demandé comment j’allais. Et je lui ai à tour mon demandé pourquoi il vient chez moi seul à cette heure et à vélo. Il m’a répondu que s’il ne sort pas prendre le pouls du pays et écouter les citoyens, il ne peut pas gérer le pays. « C’est pourquoi je me promène comme ça », a dit Sankara, et de demander à sa sœur : « Tu sais d’où je viens ? De Gampèla. Il m’arrive même d’aller jusqu’à Rapadama, d’y passer la nuit, vivre les réalités des gens. »
Je lui ai demandé s’il n’avait pas peur de se déplacer ainsi seul de nuit. « Non, il n’y aucune peur si on veut connaitre ce que vivent les gens », répondait-il. « Lors de l’un de ses passages chez moi, de nuit, il ne m’a pas trouvée. A mon retour, il a voulu savoir où j’étais. Je lui ai parlé du manque d’eau qui me faisait parcourir une longue distance pour en chercher. Et lui de s’étonner : « Vous n’avez pas d’eau ? Pourtant nous faisons tout pour qu’il y ait suffisamment de forages. » Puis il est parti. Un matin, à ma grande surprise , j’ai entendu les gens dire que Sankara avait fait un forage. Je n’ai su cela que par les populations. »
« Je n’ai bénéficié d’aucun traitement de faveur du président Thomas Sankara »
« Après le lotissement du quartier où nous habitons, un des délégués du secteur m’a demandé : « C’est la seule parcelle que vous avez eue ? ». J’ai aquiescé. Il a répété sa question en insistant. Puis il s’est tu et s’en est allé. Je n’ai pas demandé d’autre parcelle ».
A la question de savoir si elle n’a pas demandé à son frère Thomas, alors président du Faso, de la pistonner, elle s’insurge : « Il n’est pas question de parler de cela ! » Puis, après un éclat de rires, comme pour dire que nous ne connaissions pas son frère, elle ajoute : « On étit considéré comme tous les autres habitants. J’avais peur d’aller lui demander une quelconque aide. Une de mes sœurs a par exemple un jour fait la bagarre avec son mari et a tout cassé dans la maison. Quand il a appris l’affaire, il était très en colère et a fait enfermer ma sœur. Si tu déconnes, il te punit. Voilà pourquoi j’ai eu peur d’aller lui demander une seconde parcelle ».
« J’ai appris la mort de Sankara depuis la Kompienga »
« J’étais à Kompienga où mon mari était affecté. A un moment donné, mon père nous a demandé de nous marier rapidement, pour permettre aux enfants d’être baptisés. Nous étions donc dans les préparatifs du mariage. Nous étions en train de suivre des cours sur le baptême lorsque nous avons entendu sonner la fanfare à la radio. Nous avons prié puis nous sommes rentrés. C’est alors qu’on m’a dit qu’il est question de l’arrestation de Thomas Sankara. Je me suis dit que d’ici un à deux jours, on en saura davantage car ce n’est pas la première fois qu’il se faisait arrêter. J’ignorais qu’il avait été tué. Le lendemain, je cherchais toujours à en savoir davantage, mais le téléphone ne passait pas avec Ouagadougou. C’est alors qu’une femme est venue me dire qu’il a été tué. Puis des élèves à qui je vendais des confiseries sont venus en criant : « On a tué Sankara ». Je suis restée effondrée. Ce fut un vrai coup dur. J’en ai beaucoup souffert. »
« Mon mari a été licencié de son travail après le 15 octobre »
Après le coup d’Etat du 15 octobre 1987 , Colette et sa famille vont vivre l’enfer. Déjà qu’ils n’étaient pas nantis, ils devront faire face à un événement difficile, le licenciement brutal et sans explication du mari de Colette, Denis D. Nana.
Colette raconte : « A peu près six mois après les événements du 15 octobre, mon mari a été licencié sans autre forme de procès. Il était magasinier au sein de l’entreprise chargée de la construction du barrage de Kompienga. Le patron, un Blanc était lui-même attristé par cette affaire. Mon mari s’est dit que c’est peut-être lié à la mort de Thomas et à l’arrivée d’un nouveau pouvoir. Nous sommes revenus à Ouagadougou où nous avons fait face à toutes sortes de difficultés. Mon mari s’était retrouvé sans emploi, ne sachant que faire ni où aller. Il m’est arrivé de ramasser et de vendre du sable pour nourrir ma famille. C’était la misère. Nous étions isolés, stigmatisés, seuls avec Dieu. »
La persécution de la famille de Colette s’est manifestée aussi par des fouilles à leur domicile. « Un jour, à mon retour de marché, témoigne Colette, j’ai vu débarquer des militaires. Ils ont dit avoir reçu l’ordre de venir fouiller notre maison. Ils fouillèrent partout, de fond en comble, sans rien trouver, avant de s’en aller ».
Propos recueillis par Mahorou KANAZOE
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