Je suis au regret de devoir déroger à une règle que je me suis imposée depuis le temps que je partage l’espace public avec des hommes et femmes dont je suis parfois loin d’avoir les mêmes vues et opinions dans le débat politique ; mais que j’ai toujours traités avec respect et courtoisie.
Je pense en toute sincérité que c’est ça qui correspond à notre devoir et à nos responsabilités. C’est aussi ce qui sied en particulier dans une société comme la nôtre où «le vivre-ensemble» a été élevé en «art de vivre» ; ce qui en fait le charme et la notoriété à travers le monde.
Rappeler à cet égard que ce n’est pas un hasard si nos Lions du football, qui nous valent grande fierté en Afrique et dans le monde, sont nommés Lions de la Teranga.
«Teral» est la racine du mot «teranga» ; or «teral» renvoie moins à ce qu’on donne qu’à la manière de se tenir et de tenir l’autre. Le vis-à-vis.
C’est sur ce socle que s’est construite notre personnalité culturelle de base, qui structure notre comportement vis-à-vis des autres, y compris ceux avec qui on est en désaccord en politique.
C’est une des raisons pour lesquelles nous nous sommes toujours abstenus de glisser du terrain de l’adversité politique vers celui de la haine politique.
Le doyen Amath Dansokho aimait à rappeler à cet égard, dans les moments d’agitation, «qu’on est en politique. Pas en guerre de religion» ! Surtout dans un monde où les lignes de démarcation au plan idéologique ont depuis longtemps perdu de leur réalité.
Des pays gouvernés par des partis communistes sont devenus les champions d’un capitalisme triomphant à travers le monde. Ceux de ma génération décodent sans peine ce langage.
Tout cela pour dire que c’est la mort dans l’âme que je m’adresse personnellement à monsieur Alioune Tine, pour lui dire qu’à défaut d’une retraite bien méritée sur le terrain qu’il s’est choisi de l’activisme «droit-de-l’hommiste», pour mettre sa notoriété au service de la paix et du développement social de ce pays, au moins qu’il se ressaisisse pour arrêter le mauvais spectacle qu’il est en train de produire devant des jeunes dont la majorité ont l’âge de nos petits-enfants.
Je te dis en toute amitié Alioune, que ta dernière sortie n’est pas bonne ! Elle est mauvaise !
Le spectacle d’un commando amené par toi-même, entouré de jeunes ayant pour l’essentiel l’âge de tes enfants et neveux, n’est pas du tout gratifiant après le parcours qui a été le tien.
C’est à croire que vous vous trompez lourdement d’époque et de contexte.
Dans tous les pays, y compris le nôtre, à un moment donné, où les crises que vous décrivez se sont produites, c’est suite à des tentatives de tripatouillage de la Constitution pour se donner droit à un ou des mandats.
Ce qui, à notre connaissance, n’est pas le cas aujourd’hui au Sénégal.
Il est curieux, sur ce sujet, que vous apparaissiez comme représentant de l’aile ultra radicale de l’extrême opposition radicale, lorsqu’on sait que des figures représentatives de cette opposition, que vous connaissez très bien, ont été les premières à reconnaître, en lieu et place de la Cour constitutionnelle non saisie sur la question, la légalité d’une éventuelle candidature du Président Macky Sall…
De quoi tu te mêles Alioune, pour t’exciter autant sur un sujet dont les concernés eux-mêmes, c’est-à-dire les potentiels concurrents à une éventuelle candidature du leader de la majorité, ne font pas état ?
Mieux, ils en ont déjà reconnu la légalité.
En quoi devrais-tu être «plus royaliste que le roi», au point d’offrir ta poitrine à la rue et ton corps au sacrifice suprême dans un combat qui n’est pas censé être le tien. En tous cas, pas dans les termes où vous le posez.
Ce n’est pas à toi, censé enseigner les droits de l’Homme, que je dois apprendre que si les constitutions ont été créées par les hommes et la démocratie instituée dans les pays civilisés, c’est précisément pour que les nécessaires conflits qui traversent les communautés humaines puissent trouver un règlement qui protège les citoyens, surtout les plus vulnérables, contre des solutions de violence. L’enjeu majeur de la démocratie, c’est de trouver une issue pacifique aux contradictions des groupes politiques, sous l’arbitrage d’institutions qualifiées pour le faire et en définitive, par le Peuple souverain à travers les urnes .
Or tout le monde sait, dans le cas d’espèce, ni tes enfants ni les enfants de ceux dont tu sembles défendre les intérêts politiques ne seraient sur la ligne de front si tu arrivais à «chauffer» la rue comme tu le promets…
C’est là que se trouve tout le sens des combats héroïques des femmes et des hommes de notre génération et de celles qui nous ont précédés, combats menés et gagnés au prix d’énormes sacrifices que tu es bien placé pour apprendre à ceux qui, autour de toi, croient en toute naïveté et ignorance que l’histoire politique et des combats démocratiques commence avec eux dans ce pays.
Tu devrais être parmi ceux qui leur apprennent que les droits et libertés actuels dont ils jouissent au point d’en abuser de plus en plus, il y a des hommes et des femmes qu’ils désignent aujourd’hui en ennemis, qui en ont été parmi les acteurs majeurs.
Défendre la paix, c’est avant tout défendre l’Etat de Droit incarné par les institutions de la République et le recours aux urnes comme lieu sacré d’expression de la volonté populaire…
Je trouve triste Alioune, que ce soient les jeunes cadres de notre majorité, Moussa Sow et Birame Faye, qui vous le rappellent.
Reviens au calme et à la sérénité. C’est sur le terrain des contributions constructives que notre génération est attendue. Les défis de notre époque et de nos pays sont autrement plus sérieux, qui appellent des solutions de lucidité et de sérénité.
Henry Kissinger livre une belle leçon de sagesse aux dirigeants et acteurs publics de notre époque lorsqu’il écrit : «Retenons que l’ère des satisfactions absolues est révolue. On est aujourd’hui dans le temps des insatisfactions pondérées.»
Ta place, cher ami, n’est pas dans la rue. Les solutions de rue n’ont jamais rien apporté de bon.
Je te dis en toute amitié que tu n’as pas le droit d’être porteur d’un discours de nature à jeter les germes de la violence au Sénégal.
Abdou FALL
Ancien Ministre d’Etat
Président Mouvement Alternatives Citoyennes Andu Nawle
Membre du Sen de l’Apr