Mafall Mboup, 66 ans, a vécu plusieurs vies depuis sa radiation de la police nationale il y a 32 ans, suite aux évènements des 13 et 14 avril 1987 qui ont conduit à cette mesure collective consistant à congédier des cadres des personnels de police, un drame dont il parle avec d’autant plus de détachement que le destin lui a depuis donné une seconde chance de reconstruire sa vie.
M. Mboup, en service à la Brigade mobile de sûreté (BMS) de Diourbel de 1984 à 1987, est une des victimes de la mesure de radiation collective prise par le président Abdou Diouf et entérinée par un vote de l’Assemblée nationale, suite à ce qui a été qualifié de « grève des policiers ».
Les 13 et 14 avril 1987, des membres des forces de police basés à Dakar avaient occupé la voie publique pour manifester contre une décision de justice condamnant six de leurs collègues à des peines d’emprisonnement fermes.
Cette manifestation inédite, qui enfreignait en plus les règles statutaires régissant les policiers, était en réalité une occasion de protester contre leurs conditions de vie jugées difficiles, selon des observateurs.
À l’initiative du président Abdou Diouf alors au pouvoir, les députés ont procédé au vote de la loi 87-14 portant-radiation des cadres des personnels des forces de police, soit 1245 policiers au total tout grade confondu.
Cette affaire est en lien avec celle du receleur « Baba Ndiaye » qui serait décédé dans les locaux de la Police où il aurait subi un interrogatoire qualifié de musclé, rappelle Mafall Mboup.
L’agent judiciaire de l’Etat avait fait appel de la condamnation des policiers chargés de l’enquête portant sur cette affaire, mais les agents des forces de police, frustrés par cette situation et déjà fort mécontents de leur sort en général, ont tenu à se faire entendre, a-t-il ajouté.
Avec le recul, Mafall Mboup estime que « cette décision de liquidation des policiers n’était pas une décision souveraine de l’Etat du Sénégal ». Il évoque plutôt « un problème politique. L’Etat avait besoin de diminuer (le nombre de) fonctionnaires et cela est tombé sur les policiers », a-t-il soutenu.
Les institutions de Breton Woods avaient demandé à l’Etat du Sénégal de dégraisser la fonction publique, affirme l’ancien policier, ajoutant que la douane était le corps visé à l’époque pour mettre en application ces injonctions des institutions financières internationales.
« Cela n’a pas été notifié par écrit. Nous n’avons reçu aucune lettre pour nous dire si on a été radié ou pas. C’est lorsque je me suis rendu au ministère de Finances pour récupérer mon bon de caisse (placement financier) que je n’ai pas trouvé, que j’ai compris que je faisais partie des radiés », explique-t-il.
« C’était un vendredi. Je me suis dit que c’est la volonté divine, en bon talibé mouride. En tant que croyant, je m’en suis remis à Dieu parce que c’est lui qui décide de tout. Je suis quelqu’un qui fait face aux problèmes qui se présentent à moi en les prenant avec philosophie. J’ai pu, avec la foi, surmonter tout ça », ajoute M. Mboup.
Fonctionnaire brigadier à l’époque (première classe-troisième échelon), il percevait à l’époque « près de 200 mille francs CFA », un niveau de salaire assez important dans les années 1980-1990.
« De retour à la maison, j’ai informé mes épouses de la situation » nouvelle, qui allait avoir des conséquences dramatiques dans la vie de cet agent de police, puisqu’en « (…) en moins d’un an, elles ont commencé à changer d’attitude à mon égard », fait-il savoir, la voix étreinte par l’émotion.
« Elles ont commencé à répéter sans cesse qu’elles vont partir. Finalement je m’en suis remis à Dieu et je les ai libérées et elles sont parties avec mes enfants qui étaient des mineurs parce que le plus âgé avait cinq ans », a ajouté ce père de trois bouts de bois de Dieu à cette période.
La radiation actée pour lui et ses compagnons d’infortune, Mafall Mboup a décidé de changer radicalement de vie pour se consacrer pleinement à d’autres activités pendant 7 ans, avant de voir le bout du tunnel.
Un changement radical pour ce natif de Sigui Diagne, un village de la commune de Ndindy (Diourbel), qui avait intégré la police le 1 er octobre 1975, avant d’être affecté à Kédougou, où il a passé six années, de 1978 à 1984.
« À l’époque, lorsque les choses se sont confirmées, raconte-t-il au sujet de sa radiation, j’ai décidé d’acheter une charrette à eau parce que je ne pouvais pas tendre la main ».
« Les gens disaient que j’étais fou », mais puisque « je n’avais personne pour m’aider, j’ai décidé de faire ce travail en disant qu’il n’y a pas de sot métier et il me fallait prendre en charge mes parents dont je suis le fils ainé », indique le policier retraité, passé par l’armée (Génie militaire) dont il avait rejoint les rangs en octobre 1972, avant d’être libéré du service militaire.
Un passé qui le prédestinait à la débrouille. Et de fait, sa nouvelle activité lui permettait de joindre les deux bouts avec un gain quotidien de 3000 francs CFA. Mais du jour au lendemain, le père de famille a perdu l’estime de ses proches, principalement de ses femmes qui ne pouvaient accepter son choix de se reconvertir dans la vente d’eau.
« Elles me disaient d’arrêter la vente d’eau par charrette par pur complexe. Pour elles, c’était dévalorisant de passer de policier à vendeur d’eau en charrette. Pour démarrer cette activité, je n’avais que 100 mille francs CFA, d’ailleurs je n’ai exercé ce travail que pendant 7 mois seulement. Je me suis dit que c’est un métier noble », indique l’ancien policier.
Mafall a touché à presque tous les métiers pour subvenir aux besoins de ses parents qui étaient sous sa responsabilité au sein de sa petite maisonnette en construction à cette époque.
« Heureusement pour moi, je n’étais pas en location, j’avais ma propre maison, même si elle n’était pas assez bien construite. J’ai également fait des activités dans les colonies de vacances, j’ai été journalier à l’usine de la Sonacos entre autres. J’ai touché à tout parce que je ne voulais pas tendre la main. J’ai vécu ce calvaire jusqu’en 1993 lorsqu’on a créé le corps de la police municipale », a-t-il renseigné.
Après cette traversée du désert, le destin est venu lui offrir une occasion de se relancer, avec la création de la police municipale par Abdou Diouf.
« Avec cette nouvelle création, on avait besoin de faire un mois de recyclage après 7 ans d’absence. C’était pour voir notre mental et notre état d’esprit puisque qu’on était resté longtemps sans exercer le métier », note-t-il.
Mafall Mboup a exercé dans ce nouveau corps durant cinq, avant d’être reversé dans « la police d’Etat » en 1998 et de faire valoir ses droits à la retraite. Il demeure toutefois actif, malgré sa retraite et son âge avancé.
« Actuellement, je préfinance les éleveurs qui sont dans le commerce de bétail au niveau des marchés hebdomadaires. Une fois qu’ils ont atteint une assise financière, on se partage les bénéfices, et s’ils ne sont pas en mesure de bien dérouler l’activité, ils me remboursent la somme que je leur avais remis pour le démarrage. Dans un premier temps, je ne finance que deux personnes », précise-t-il.
S’y ajoute qu’après avoir été abandonné par ses deux femmes parties avec ses trois enfants suite à sa radiation, Mafall Mboup a refait sa vie avec une autre femme qu’il juge plus compréhensive.
« C’est en fin 1993 que je me suis remarié et on a eu un garçon et deux filles. Et coup du sort, celles qui m’avaient abandonné ont voulu revenir, ce que je n’ai pas accepté parce que pour moi un couple c’est pour le meilleur et pour le pire. De plus, je ne pouvais plus vivre avec elles parce que j’aurais toujours le souvenir qu’elles m’avaient trahi. Donc ce n’était plus possible », assène-t-il.