Avocat du journaliste Adama Gaye (inculpé et placé sous mandat de dépôt pour offense au chef de l’Etat et atteinte à la sureté intérieure), Me Cheikh Ahmadou Ndiaye dénonce le traitement réservé à son client en prison. Il regrette également le report de l’audition de son client, qui, au passage, précise-t-il, se porte bien. Entretien.
Comment votre client vit son incarcération ?
Adama se porte très bien jusque-là. C’est un homme digne dans l’épreuve. Un homme courageux, qui assume ses idées. C’est un homme qui a été accusé et incarcéré injustement. En dépit de tout cela, il reste un homme combatif, courageux et digne.
Est-ce qu’il bénéficie de privilèges en prison comme certains détenus politiques ?
Il n’a aucun privilège. Au contraire, on l’a soumis à un régime carcéral assez particulier. Un régime carcéral assez dure compte tenu de son âge. Je ne veux pas en dire plus mais sachez qu’aucun cadeau ne lui est fait.
Pourquoi vous dites qu’il a été accusé injustement si l’on sait qu’il a tenu des propos indécents à l’encontre du président de la République ?
Il n’est pas l’auteur des propos qu’on lui a imputés. On lui prête ces propos. Entre prêter ces propos et dire les propos, il y a une grande nuance. Adama écrit depuis années sur des questions d’intérêt national et international. Eu égard à son parcours et à son cursus, il parle des choses qu’il maitrise.
Maintenant, il peut le dire dans un ton qui peut être virulent, qui peut être contrariant mais jamais insultant. Vous pouvez contrariez quelqu’un sans l’insulter. On peut être virulent sans insulter. Il y a une confusion qui a été faite entre ce qu’il dit, le ton qu’on lui connait et les propos insultants qu’on lui prête. C’est quelque chose de radicalement différent. Adama n’est pas un insulteur. Il n’a jamais insulté personne. On n’est pas arrivé à démontrer qu’il a insulté quelqu’un.
On a constaté qu’il a été très virulent à l’encontre du président Macky Sall. Est-ce qu’il a des antécédents avec ce dernier ?
Ce n’est pas une affaire personnelle entre Adama Gaye et Macky Sall. Ce sont des questions d’intérêt national. Tout Sénégalais, de quelque bord que ce soit, quel que soit son horizon, a le droit de se prononcer sur des questions citoyennes, des questions qui interpellent tous les citoyens du Sénégal. Et ce, en vertu d’un principe bien connu qu’on appelle la liberté d’opinion. Donc, il ne faut pas ramener les choses à une dimension interpersonnelle. Je pense qu’un conflit interpersonnel n’a pas le mérite de capter l’opinion nationale et internationale. Si c’était des insultes seulement, je crois que les sénégalais ne s’y attarderaient pas. Mais, il n’y a jamais eu d’insulte. Maintenant, chacun est libre d’être virulent ou de ne pas être virulent, selon son style, sa personnalité et ses motivations. Il n’y a pas eu d’antécédents entre Macky Sall et Adama Gaye. Et jusqu’à présent, personne n’est arrivé à prouver qu’il y a eu des antécédents entre les deux hommes. Adama Gaye, depuis des années, écrit sur des questions de gouvernance. Et, il a toujours eu la même ligne éditoriale. Donc, aujourd’hui, que les gens se rassurent, il ne s’agit pas d’un conflit interpersonnel. Il ne faut pas banaliser Adama Gaye, c’est un intellectuel accompli, un grand journaliste.
Il est un grand journaliste qui a préféré les réseaux sociaux au détriment des salles de rédactions…
Il y a certains qui lui ont dénié la qualité de journaliste. Ces gens-là, j’aimerais bien qu’ils me définissent ce qui est un journaliste. Adama Gaye fait partie des premiers étudiants du Cesti. Il a été directeur de publication d’un journal à Londres, il a été à Jeune Afrique et a fréquenté n’importe quelle salle de rédaction. Donc, c’est quelqu’un qui a choisi maintenant de s’exprimer à travers un créneau. Et aujourd’hui, les réseaux sociaux sont les médias les plus puissants. C’est un choix et nous respectons son choix.
Deux détenus sont morts le mardi dernier à Rebeus des suites d’une électrocution. Un commentaire sur ce drame
Je déplore encore une fois les pertes en vies humaines surtout lorsqu’elles interviennent dans les maisons de détention. C’est quelque chose de très regrettable parce qu’on n’entre pas en prison pour y mourir quel que soit, par ailleurs, les raisons pour lesquelles on est poursuivi. La prison est un lieu de recyclage social, c’est un lieu de pénitence ou l’individu est retenu pour qu’il réfléchisse sur son sort, redevenir un autre homme à sa sortie. C’est cela la vocation de la prison.
Comment appréciez-vous la politique carcérale du Sénégal ?
Ce qui se passe, aujourd’hui, au Sénégal et dans la plupart des pays africains, c’est que le régime carcéral est très dur parce qu’il y a eu ce qu’on appelle un surpeuplement carcéral. La surpopulation carcérale signifie que les prisons ont une capacité limitée par rapport au nombre de détenus qu’elles accueillent. De sorte que les conditions de vie, à la limite, sont inhumaines. Vous voyez des chambres où il y a des centaines de personnes qui se couchent les uns collés aux autres. Imaginez un peu les conditions de salubrité dans ces prisons. Donc, la surpopulation carcérale est un problème très actuel au Sénégal. Et il est encore temps que les autorités mènent une politique de dépeuplement des prisons.
En faisant quoi exactement ?
D’abord, il faut construire des prisons. La plus grande prison du Sénégal c’est Rebeuss et sa capacité ne fait pas 1000 personnes. Elle est surpeuplée. Il faut construire des infrastructures pour accueillir les détenus. Ces infrastructures doit être mises aux normes actuelles. On ne demande pas de construire des hôtels mais des prisons où les détenus peuvent vivre avec un minimum standard de conforts. Ensuite, il faut mettre en œuvre ce qu’on appelle la peine alternative. Parce que, le recours systématique à la détention et surtout à la détention provisoire est excessif. Dans 90% des cas, les personnes interpelées sont placés sous mandat de dépôt pour des faits plus ou moins relativement graves. Pourquoi tout le temps condamner à des peines de prison ferme alors qu’il y a des peines alternatives. Les peines de mise à l’épreuve, les travaux d’intérêt public qui permettent une resocialisation de l’individu et qui permettent d’aérer les prisons.
Enfin, il faut réfléchir sur une stratégie de politique criminelle qui puisse permettre aux magistrats instructeurs qui ont en charge les dossiers de pouvoir terminer rapidement leur instruction et de renvoyer la personne à être jugée dans les délais raisonnables. Donc, voilà un peu pour moi les solutions.
Est-ce que la responsabilité pénale de l’administration pénitentiaire pourrait être engagée dans cette affaire ?
J’en profite pour rendre un hommage au personnel de l’administration pénitentiaire. Ils exercent un métier noble et difficile. Gérer des personnes qui sont en conflit présumé avec la loi et essayer de les canaliser, de les gérer mentalement et physiquement avec des moyens très limités, c’est quelque chose d’extrêmement difficile. D’où un appel à l’Etat pour qu’ils réfléchissent davantage sur l’octroi de moyens conséquents matériels et humains à cette administration qui est chargée de gérer nos prisons.
Maintenant, l’administration c’est l’Etat. Et la responsabilité de l’Etat peut être engagée par n’importe quel citoyen parce qu’il y a une défaillance du système. Il reste donc à savoir dans quelles circonstances ces décès sont intervenus et en tirer les conséquences. Et cela se fera à la suite d’une enquête qui sera diligentée par le procureur. Mais si d’aventure, cette enquête révélait qu’il y a une défaillance dans les services publics, les héritiers de ces victimes pourraient intenter des actions en justice contre l’Etat du Sénégal.