Sénégal: Etat d’une démocratie Mackyavélique.

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Le Sénégal a toujours offert cette singularité d’être l’un des pays les plus stables d‘Afrique. Il a une autre particularité: celle d’avoir entrepris, bien avant les autres, de libéraliser sa vie politique, faisant ainsi œuvre de pionnier sur le continent.

Curieusement, c’est peut-être ces traits distinctifs qui expliquent la relative négligence de la part de la presse dont il est I‘objet. il n’est sans doute pas inutile d‘indiquer certains repères qui ont marqué l’histoire récente du Sénégal. On rappellera que l‘arrivée à la magistrature suprême d‘Abdou Diouf après plus de vingt ans de pouvoir de Léopold Sédar Senghor, s’est caractérisée, même si la succession se déroula sans heurt, par une volonté affirmée de remouler en profondeur la vie politique et la nature même de L’État. Souci d’abord de rompre avec les «vieilles pratiques que nous appelons pudiquement politiciennes» soulignait en 1984 le nouveau Président, qui manifestait ainsi sa détermination à lutter contre «les féodalités de toutes sortes qui sont des forces d’inertie, de conservatisme et de régression».

Ce multipartisme intégral était aussi censé constituer un remède de choc de nature à transformer profondément le Parti socialiste et ainsi à l’obliger à être autre chose qu’une arène où s’affrontent des clans rivalisant pour distribuer des dépouilles. La libéralisation de la vie politique a effectivement été à l’origine d’une formidable éclosion de la liberté d‘expression. Une presse d’opinion, souvent très critique envers les pratiques du régime, a fleuri, dont Le Cafard libéré est l’exemple le plus remarquable. Des mouvements politiques et syndicaux de toutes sortes ont pu développer leur action. Toutefois, cette nouvelle donne démocratique, loin de rendre plus sereine la vie publique, a plutôt alourdi le climat politique; elle n’a pas permis une solution mieux négociée des conflits.

Dans un tel contexte, le jeu démocratique a plutôt contribué d’une part à crisper la vie politique, d’autre part à exacerber les tensions et mécontentements liés à plusieurs facteurs.

Le slogan du Pds: «Sopi» changement, en wolof devint le signe de ralliement de tous les mécontents. L’espoir placé en Maître Wade s’envola aussitôt pour à son tour catalyser de nouveaux mécontentements des sénégalais qui l’ont chassé du pouvoir en 2012.

On voit la situation aujourd’hui .

L’adoption par une Assemblée Nationale aux ordres, du projet de loi instaurant le parrainage, censé garantir, à la Coalition Benno Bokk Yakaar, une victoire certaine aux présidentielles de 2019 vient couronner la longue série de forfaitures, auxquelles nous a habitué le régime de l’Apr.

Cela peut être illustré par plusieurs exemples, depuis les bureaux de vote fictifs décriés lors du référendum du 20 mars 2016 jusqu’à la rétention accompagnée d’une distribution sélective des cartes électorales aux législatives de l’année dernière, en passant par les manipulations grossières des locales de 2014, à travers l’acte 3 honni.

Quant à la loi sur le parrainage, son argumentaire est des plus fallacieux, surtout de la part d’un pouvoir qui a financé des listes parallèles aux législatives de 2017, enrôle quotidiennement des groupuscules dans sa méga-coalition et continue de promouvoir la transhumance.

La répression féroce de l’opposition et des courageux citoyens, manifestant leur désapprobation face à une situation dont ils n’ont pas l’habitude, est une nouvelle expression du caractère dictatorial et oppresseur d’un Etat qui, après avoir embastillé et déporté des rivaux potentiels aux prochaines présidentielles, semble prêt à tout pour conserver le pouvoir.

Il est vrai que Benno Bokk Yakaar s’apparente à une énorme pieuvre enserrant dans ses tentacules clientélistes et corruptrices toutes les composantes de la Nation, éclipsant un parti présidentiel non structuré voire inexistant. Cette Coalition gouvernementale substitue au jeu politique classique, l’instrumentalisation de la Police nationale et de la Justice ainsi que l’abus de majorité parlementaire allant jusqu’à l’interdiction du débat pluriel sur les «grand-places» et au sein de l’hémicycle.

L’expérience démocratique sénégalaise court le risque d’être dénaturée, s’apparentant de plus en plus à un modèle autoritaire pouvant ouvrir la voie à une instabilité politique permanente, telle qu’on peut l’observer dans certains pays africains.

Le Sénégal a une vieille et longue tradition de culture démocratique qui ne saurait se payer le luxe d’une marche à reculons. C’est donc une véritable reculade que le Sénégal vit actuellement.

Élu avec plus de 65% des suffrages à l’élection présidentielle de 2012, le jeune Président, Macky Sall a très tôt fait de prôner «la rupture». Mais, il n’en fut rien car il n’a rien fait pour rompre avec le passé. Il a juste voulu faire du neuf avec du vieux.

Autre recul démocratique, c’est l’entêtement du Président Macky Sall à imposer coûte que coûte un ministre de l’Intérieur acquis à ses ambition comme organisateur des élections, alors que ce dernier, Ali Ngouye Ndiaye, trop partisan et membre actif du Secrétariat exécutif national de l’Apr, est récusé par l’opposition et la Société civile.

Par ailleurs, c’est vraiment débile que, de nos jours, on continue à parler encore au Sénégal d’autorité dite indépendante ou autonome pour veiller à la bonne organisation matérielle des opérations électorales, faire respecter la loi électorale de manière à assurer la régularité, la transparence, la sincérité des scrutins. C’est véritablement triste, après 57 ans d’indépendance et deux alternances politiques pacifiques qui ont émerveillé le monde entier, qu’on continue encore de s’étriper au Sénégal avec des histoires de contentieux électoraux à n’en plus finir, d’interdiction de manifestations de l’opposition au motif de «menaces de troubles de l’ordre public», de restrictions des libertés publiques, d’omniprésence de la famille présidentielle dans les affaires de l’Etat, d’Assemblée nationale monocolore dans sa physionomie, avec la suprématie du groupe majoritaire Benno bokk yaakaar, de détournements de deniers publics par de grands commis de l’Etat, qui plus est, ont été épinglés par les corps de contrôle de l’Etat.

Quelle démocratie quand les achats de consciences sont érigés en mode de gouvernance ? Après avoir affamé les Sénégalais et les avoir mis dans une situation de dépendance absolue, de fragilité et de précarité, il était plus facile de leur faire mordre à l’hameçon des Bourses de sécurité familiale, cette autre forme d’assistanat qui passe pour être de la providence aux yeux des bénéficiaires. Et voilà des Sénégalais doublement appauvris : un pouvoir d’achat réduit presque à néant auquel s’ajoute le mal des valeurs en déliquescence. Exit la dignité, l’honneur, la fierté, tout cela englobé par le vocable wolof de «ngor». Le débauchage et la transhumance n’ont jamais été mis à contribution que ce que les sénégalais vivent actuellement.

Quel recul démocratique quand, à quelques encablures des prochaines élections présidentielles de février 2019, on nous annonce l’achat des consciences dans la campagne des parrainages et la rétention des cartes des cartes nationales d’identité, privant ainsi des centaines de milliers de Sénégalais de leur droit de vote. Quelle honte, quand on en est réduit à voter avec n’importe quel chiffon (un vrai retour au Moyen-âge !), parce que tout simplement l’Etat du Sénégal n’est pas fichu de produire des cartes biométriques Cedeao après avoir pourtant gaspillé la manne financière de 50 milliards de francs Cfa!

Quand le chef de l’Etat himself se méprend du rôle de l’opposition comme rouage important de la démocratie, en ne se gênant pas le moins du monde de déclarer publiquement sa volonté de «réduire l’opposition à sa plus simple expression», c’est la vitrine démocratique sénégalaise de bonne réputation qui se lézarde, se fissure et craquelle. C’est la démocratie sénégalaise tant vantée et chantée qui en prend un sacré coup. Une démocratie rongée jusque dans ses fondements voire dans les institutions qui en constituent les soupapes de sécurité, en l’occurrence l’Assemblée nationale.

La situation actuelle de la démocratie au Sénégal, ce sont des candidats potentiels à l’élection présidentielle de 2019 qui sont, soit emprisonné puis exilé (Karim Wade), soit jeté au fond d’un cachot (Khalifa Sall) en attendant de régler leur sort aux autres «présidentiables». A ce rythme, le Président Macky Sall risque de se retrouver seul face à lui-même quand «son» Conseil constitutionnel va arrêter la liste officielle des candidats retenus pour l’élection présidentielle de 2019.

La démocratie n’est pas une fatalité, pas plus qu’elle n’est une spécificité sénégalaise. Aujourd’hui, le «modèle sénégalais» ne fait plus rêver. A trop dormir sur ses lauriers ou à vivre comme dans une bulle, on en arrive à stagner puis à reculer pendant que les autres avancent sûrement mais sans faire de bruit. La démocratie est un combat de tous les jours. Une œuvre perpétuelle, à jamais achevée, mais toujours perfectible. Avec des mirages et des atours mirifiques, la démocratie sénégalaise ressemble, à s’y méprendre, à un bel éclat de vernis enduit sur du bois mort et profondément rongé de l’intérieur. Le salut de la démocratie sénégalaise réside dans la prise de conscience de l’opposition de s’unir ou périr, dans sa capacité à exercer une pression très forte et un harcèlement incessant sur le pouvoir pour l’obliger à faire des concessions, tout en faisant le travail nécessaire sur le terrain pour organiser la résistance devant le rouleau compresseur du régime de Macky Sall.

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