Conseil constitutionnel – Du mépris pour le droit au mépris du droit: A propos d’une juridiction constitutionnelle sans « réflexe » Constitutionnel

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On n’a jamais autant parlé de droit constitutionnel que depuis quarante-huit heures. Le Conseil constitutionnel est paralysé depuis le 25 juin 2021 faute de quorum : il ne compte que quatre (04) membres sur les sept (07) membres (article 89 de la Constitution et article 3 de la Loi organique n° 2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel) censés le composer régulièrement pour pouvoir légalement délibérer. Malgré cette situation inédite, le Président de la République refuse toujours de nommer les trois (03) nouveaux membres du Conseil constitutionnel.

Si le pouvoir de nomination des membres du Conseil constitutionnel appartient exclusivement au Président de la République, à l’heure actuelle, le Conseil constitutionnel est paralysé par le Président de la République, celui-là même qui est chargé de nommer ses membres, garant du fonctionnement régulier des institutions (article 52 de la Constitution).
Pourtant, la loi et la pratique voudraient qu’une vacance due à un décès ou une fin de mandat soit de suite notifiée par l’organe juridictionnel à l’autorité concernée, à savoir le Président de la République, selon que le titulaire du poste avait été désigné directement ou sur proposition du Président de l’Assemblée Nationale.

C’est une certitude juridique que le Conseil constitutionnel ne peut plus se réunir pour statuer sur la validité des lois votées par l’Assemblée Nationale ou pour réguler la démocratie et l’Etat de droit. L’impossibilité pour le Conseil constitutionnel, réduit à quatre (4) membres, de délibérer dans le respect des termes de l’article 23 de la Loi organique 2016-23 du 14 juillet 2016 est manifeste.

La décision du Conseil constitutionnel n°2/C/2021 rendue le 20/07/2021 ne peut susciter que tristesse, consternation et colère chez tous ceux qui sont attachés à un fonctionnement normal de la justice et qui sont convaincus de l’indépendance, de la probité et de la conscience professionnelle qui doivent guider le fonctionnement d’une juridiction constitutionnelle. Ce qu’a fait le Conseil constitutionnel (devenu coutumier des faits) est la preuve d’un grand mépris pour le monde du droit en général.
Curieusement, par cette Décision, le Conseil constitutionnel commence par reconnaître lui-même son incapacité à délibérer légalement en raison de l’absence définitive de trois (3) de ses membres.

Bizarrement, le Conseil constitutionnel décide ensuite de justifier sa capacité à délibérer, sur la base de la seule présence de quatre (4) membres au nom d’artifices, d’arguties et de gymnastiques juridiques, pour invoquer le principe selon lequel il doit « Toujours être en mesure d’exercer son pouvoir régulateur et de remplir ses missions au nom de l’intérêt général, de l’ordre public, de la paix, de la stabilité des institutions et du principe de la nécessaire continuité du fonctionnement des institutions » (Considérant N°5). Il faut s’offusquer de ces concepts valises utilisés par le Conseil constitutionnel car ils sont difficiles à apprécier. Pour la première fois, le Conseil constitutionnel parle et aligne en même temps les notions de « paix », « d’ordre public », « d’intérêt général », de « continuité du fonctionnement des institutions ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Derrière ces notions, on peut mettre tout et n’importe quoi. Dans les pires dictatures, on justifie ainsi les plus grands forfaits du régime.

Ainsi, quatre (04) personnes, à travers une motivation douteuse, alambiquée et tirée par les cheveux, ont décidé de s’arroger la légitimité de violer une Constitution qu’ils sont censés garantir le respect. Il faut en tirer la conséquence qu’on est sorti des limites de la démocratie et de l’Etat de droit.

Le Conseil constitutionnel viole et déstabilise ainsi l’ordre constitutionnel au profit d’un ordre monarchique créé par le Président de la République.

Il est clair que c’est le Président de la République qui a bloqué le fonctionnement du Conseil constitutionnel. Il s’agit d’une situation d’exception créée de toutes pièces, puisqu’il suffit de procéder à la nomination des membres manquants pour assurer le fonctionnement régulier de l’institution. Que ceci nous serve d’avertissement !

Mouhamadou Ngouda MBOUP
Enseignant-chercheur de droit public FSJP/UCAD

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