Coronavirus : en Chine, les punitions de citoyens dissidents se multiplient

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Single PostUne militante pro-démocratie tient une pancarte où l’on voit le journaliste citoyen disparu Fang Bin, dans une manifestation à Hong Kong, le 19 février 2020.Alors que la Chine a annoncé, jeudi, une baisse spectaculaire des nouvelles contaminations dues au coronavirus, des citoyens chinois, ayant dénoncé sur les réseaux sociaux la gestion sanitaire de la crise par le régime, sont portés disparus. Parmi eux : Fang Bin, vendeur de vêtements et Chen Qiushi, avocat. 

Il est devenu un symbole de la censure du gouvernement chinois, en pleine épidémie de coronavirus. Li Wenliang est mort vendredi 7 février, après avoir succombé au coronavirus. Ce médecin avait alerté les autorités dès la fin du mois de décembre, de l’apparition du virus à Wuhan, capitale du Hubei. Depuis sa mort, d’autres citoyens ont repris le flambeau, en montrant, sur les réseaux sociaux, des images d’hôpitaux débordés. Des pratiques gênantes pour le pouvoir chinois qui tente de museler ces voix dissidentes, en les intimidant, voire en les arrêtant, alertent plusieurs ONG.

Depuis qu’ils ont diffusé des images mettant en cause le pouvoir chinois dans sa gestion de la crise du coronavirus, Fang Bin, vendeur de vêtements à Wuhan, et Chen Qiushi, avocat installé dans cette même ville, ont disparu. Tous deux avaient publié des vidéos sur les réseaux sociaux montrant des soignants débordés dans les hôpitaux de la ville.

Contacté par France 24, Fang Bin avait raconté ses motivations avant de disparaître. « Quand la ville a été mise en quarantaine, je me suis aperçu que quelque chose clochait. Je me suis rendu à l’hôpital et j’ai vu les gens, il y avait énormément de gens. C’est là que j’ai compris que Wuhan était le centre de l’épidémie », explique ce citoyen chinois, qui a publié ses premières vidéos fin janvier. « Les hôpitaux sont les lieux où les chaînes de télévision nationale, du Hubei et de Wuhan devraient se déplacer pour interviewer des gens. Mais personne n’y est allé. Je me suis dit que s’ils ne voulaient pas y aller alors j’irai filmer ce qu’il s’y passe. »L’une des vidéos publiées par Fang Bin a été particulièrement relayée sur les réseaux sociaux. Sur YouTube, il montre, dans cette vidéo publiée le 1er février, plusieurs corps enveloppés dans des bâches. Ils sont placés à l’intérieur d’un camion funéraire, garé près de l’hôpital de Wuhan. Fang Bin pénètre ensuite au sein du bâtiment où il assiste à la mort d’un homme victime du coronavirus.

Le jour même, Fang Bin est convoqué au commissariat. En parallèle, une vidéo de soutien est publiée sur Internet et massivement partagée. Fang Bin est finalement relâché après cinq heures d’interrogatoire. Revenu chez lui, il continue à publier des vidéos sans pour autant sortir de chez lui. « Je suis surveillé par des policiers en civil. Ils sont aux entrées est, nord et ouest de mon immeuble », prévient-il, appelant les internautes à l’aide. « Ma sécurité dépend de votre attention, de votre prise de conscience et de vos partages. »

Depuis le 9 février, Fang Bin est inactif sur les réseaux sociaux et ses proches affirment ne plus avoir de nouvelles.

Plus de 350 internautes chinois sanctionnés

Chen Qiushi, un avocat chinois de 34 ans, est lui aussi porté disparu. « Le 6 février, il a dit à sa famille qu’il voulait filmer un hôpital. Mais il n’a pas été revu depuis, selon plusieurs reportages et les déclarations de la mère de Chen Qiushi », a averti l’ONG Committee to protect journalists (CPJ) dans un communiqué.

« Les autorités de Wuhan doivent dire si elles détiennent le journaliste Chen Qiushi. Si c’est le cas, il devrait être libéré immédiatement », a alors déclaré Steven Butler, coordinateur du programme Asie du CPJ, à Washington.

Comme Fang Bin, Chen Qiushi avait filmé des hôpitaux débordés par le nombre de malades victimes du coronavirus. Avant de disparaître, il se disait menacé par le régime. « J’ai peur. J’ai le virus devant moi et les forces de l’ordre chinoises derrière moi. Mais je vais me relever. Tant que je serai vivant dans cette ville, je continuerai mon travail. Je ne raconterai que ce que je vois, que ce que j’entends. Allez vous faire foutre, je n’ai pas peur de mourir. Tu crois que j’ai peur de toi, Parti communiste ? », s’était-il indigné dans une vidéo.

Fang Bin et Chen Qiushi ne seraient pas les seuls à avoir disparu après avoir critiqué le régime. Le 7 février, l’ONG Chinese Human Rights Defenders a publié un communiqué, indiquant que 351 internautes chinois avaient été punis pour avoir « répandu des rumeurs ».

« La majorité des personnes impliquées dans ces affaires auraient subi des détentions administratives allant de trois à 15 jours. Certaines ont également reçu des amendes, des avertissements verbaux, une « éducation » forcée et des aveux forcés », peut-on lire dans le document.

Autre cas fortement médiatisé : celui de Xu Zhiyong. Mardi, l’ONG Amnesty International a annoncé l’arrestation de ce dissident chinois. Il avait critiqué la gestion de l’épidémie de coronavirus par le président Xi Jinping. Il était en fuite depuis décembre, après avoir participé à une réunion d’opposants dans la ville de Xiamen, dans le sud-est du pays.

Il n’en continuait pas moins à diffuser sur les réseaux sociaux des articles dénonçant le régime communiste. « Les fournitures médicales manquent, les hôpitaux sont débordés et beaucoup de personnes contaminées ne sont pas dépistées », avait-il, par exemple, dénoncé. « C’est la pagaille. » Amnesty International ainsi que l’ONG Human Right Watch réclament toutes deux la libération de Xu Zhiyong.

Joint par France 24, Emmanuel Lincot, professeur à l’Institut catholique de Paris et chercheur-associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) explique que ces pratiques répressives ne sont pas nouvelles en Chine. « Généralement, on bloque les comptes de la personne visée, sur les réseaux sociaux. Ensuite, elle peut recevoir des courriels d’intimidation. Si elle persiste dans son comportement, les autorités peuvent la faire disparaître. Elle peut ensuite être placée dans une résidence ou un hôtel surveillé », affirme-t-il. Dans le pire des cas, l’individu peut être « envoyé dans un laogaï – un camp de rééducation par le travail – pendant plusieurs années ».

Même si elle cherche à faire taire les oppositions, la Chine, où 74 500 personnes ont été contaminées par le coronavirus et 2 118 personnes tuées à cause du virus, se sert également de ces voix discordantes pour servir ses intérêts. Selon Jean-Louis Rocca, sociologue spécialiste de la Chine, professeur à Sciences-Po et chercheur au Ceri, contacté par France 24, ces blogueurs tiennent un rôle stratégique pour les autorités. « Il est très difficile pour le pouvoir chinois de connaître l’opinion publique puisque dans ce pays, tous les médias sont liés au pouvoir en place », affirme Jean-Louis Rocca. « Les autorités chinoises laissent donc respirer l’opinion publique. Et, si certains citoyens franchissent les limites, elles leur envoient un message d’intimidation », poursuit-il.

Pour le moment, le régime n’a fait aucune déclaration sur les disparitions de Fang Bin et Chen Qiushi. Le pouvoir central se contente de communiquer sur l’investissement de la Chine, déterminée à contenir l’expansion du coronavirus. La Chine a par exemple annoncé jeudi 20 février une baisse spectaculaire des nouvelles contaminations, au plus bas depuis près d’un mois avec une hausse nette de 394 cas soit seulement le quart du chiffre annoncé la veille. Mais pas un mot sur le sort de ces citoyens qui manquent à l’appel.

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