Il fait bon vivre à Dakar (Par Adama Ndiaye)

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Youssou Ndour, qui a le génie de la formule qui captive et le sens du refrain mémorable avait tapé juste dans son tube “Ndaakaru”. Dakar est, en effet, une ville où il fait bon vivre. Tout n’y est pas parfait (vie chère, pollution atmosphérique, surpopulation, etc) mais le climat y est doux par rapport à beaucoup de régions du Sénégal, le mode de vie globalement agréable, et les infrastructures relativement satisfaisantes. On y est mieux loti, en somme, que dans beaucoup de terroirs du pays, aussi charmants soient-ils. Rares sont les gens qui quittent Dakar de gaieté de cœur pour mener une aventure professionnelle à “l’intérieur du pays”, comme l’on dit. On connaît tous dans nos entourages des enseignants, des médecins, des infirmiers, servant à Tambacounda, Kédougou, Kolda, et qui ne rêvent que d’un retour dans la capitale. Ils se plaignent tantôt de la chaleur, tantôt des conditions de travail précaires, tantôt de l’ennui. Mais leur état d’esprit très Dakar centré illustre l’un des maux du Sénégal : l’iniquité territoriale, avec des localités quasiment laissées à l’abandon, même si des projets tels que le Programme d’Urgence de Développement Communautaire tente de combler le gap entre zones urbaines et rurales.

Beaucoup de nos territoires souffrent d’un déficit de ressources humaines de qualité et d’infrastructures dignes de ce nom.

En affectant Souleymane Téliko et Guy Marius Sagna respectivement à Tambacounda et à Kédougou, le gouvernement avait-il en tête ces nobles considérations ? Certainement pas. Il est clair que ces nominations ne visent pas simplement l’intérêt général et le bien commun. Elles répondent, même, au contraire à des logiques politiciennes déplorables. On peut même présumer que l’État manœuvre pour écarter de la capitale des éléments subversifs. Cela ne l’honore pas et participe à l’abaissement des mœurs républicaines.

Néanmoins le tollé d’indignation suscité par ces décisions administratives est pathétique, et comme souvent, au Sénégal, ces derniers temps, très exagéré. On serait tenté de penser, à entendre certains, que Guy Marius Sagna et Souleymane Téliko ont pris un ticket de train express en direction du bagne ou du goulag. Certes l’opposition et la société civile sont dans leur rôle de vigie lorsqu’elles alertent sur les cas individuels de certaines figures contestataires, mais ceux-là ont choisi comme vocation d’œuvrer dans le service public avec tout ce que cela comporte comme aléas en termes de contraintes et de mobilité professionnelles. Par ailleurs, inconsciemment, on en vient à instiller dans l’esprit des citoyens sénégalais qu’aller travailler à Tambacounda ou à Kédougou, n’est pas une grande mission d’utilité publique mais une corvée. La complainte du juge Téliko après son envoi à Tambacounda par le Conseil Supérieur de la Magistrature est d’ailleurs fascinante et amusante. “ Vous
n’avez rien à me reprocher. Je ne suis coupable d’aucune faute. J’ai toujours fait mon travail convenablement. C’est une décision injustifiable”, se lamentait-il dans une adresse au ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Malick Sall.

Un magistrat s’exprimant sur le ton d’un écolier qui ne comprend pas la punition du proviseur ! Est-ce là l’idée que l’on se fait du service public, et de son devoir d’agent de l’État ?

On reproche souvent aux jeunes des régions, tels des Rastignac, d’abandonner leurs racines pour l’hypothétique eldorado dakarois ou européen. Ceux-là, au moins, ont l’excuse de l’inexistence des perspectives. Quel message leur envoie-t-on lorsque des représentants de l’élite leur disent en substance que leurs villes sont des lieux de privation, de punition et de purgatoire ?

Adama NDIAYE

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