Industrie pharmaceutique : Diagnostic des défaillances d’un secteur vital

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Au Sénégal, le marché des médicaments est très porteur. La demande est pressante. Mais le pays ne s’est pas encore doté d’une industrie forte et compétitive. Autrement dit, le pays est dépourvu d’industrie pharmaceutique. Au bord du gouffre, les entreprises pharmaceutiques actuelles au Sénégal en l’occurrence Médis Sénégal, Teranga Pharma, West Afric Pharma, Institut Pasteur, Valdafrique, Penterus et Socafi-pharma sont incapables de satisfaire la demande.

Triste constat : 80 à 90% des médicaments sur le marché national sont importés. Selon Docteur Gningue, responsable du service des achats en produits et médicaments essentiels à la Pharmacie Nationale d’Approvisionnement, chaque année, le Sénégal dépense au minimum 20 milliards de francs CFA pour importer des médicaments uniquement dans le secteur public. Et, dans le secteur privé, au bas mot, c’est plus de 100 milliards de francs CFA qui sont décaissés pour l’importation des médicaments.

20 MILLIARDS PAR AN POUR IMPORTER DES MÉDICAMENTS

Les familles de médicaments qui sont importées sont entre autres, les anti-infections, les médicaments pour lutter contre les infections bactérielles, les infections virales et des médicaments contre les parasitoses. Il y a également les anti-hypertensions, les produits pour lutter contre le diabète en particulier l’insuline, les médicaments antidiabétiques oraux, les anti-cancéreux. « En termes d’anticancéreux, aucun produit n’est fabriqué au Sénégal encore moins dans la sous-région », a précisé Dr Gningue.

En effet, pour ce qui est de l’importation des médicaments, il y a deux secteurs qui s’y activent : le secteur privé et le secteur public. Au niveau du secteur public, le principal importateur est la Pharmacie nationale d’approvisionnement qui est un démembrement du ministère de la santé. Elle approvisionne les structures publiques et parapubliques telles que les hôpitaux, les centres de santé, les postes de santé ainsi que les sociétés privées qui signent des conventions avec l’Etat du Sénégal.

Pour le privé, les principaux importateurs sont les grossistes répartiteurs qui importent des médicaments et qui les distribuent à travers les circuits de distribution. Ils ravitaillent les officines et les pharmacies. Tous les médicaments importés proviennent de l’Inde, d’Afrique (Ghana, Egypte, Maroc, Mali), de la Chine et de l’Europe (France, Portugal, Espagne, Suisse, Allemagne…). Ce qui renseigne à suffisance que le Sénégal dépend totalement des sources d’approvisionnement extérieures. Et quand les pays qui le fournissent se recroquevillent sur eux-mêmes, le Sénégal est laissé en rade. Ce qui pourrait constituer une situation extrêmement grave qui ne peut pas être acceptée. Il convient cependant de se demander pourquoi l’industrie pharmaceutique sénégalaise ne décolle pas ? Le constat est que son existence est proche du néant.

« LES PRODUITS QUI SORTENT DE NOS USINES NE SONT PAS COMPÉTITIFS »

De l’avis de Dr Assane Diop président du Syndicat des pharmaciens privés du Sénégal et président du Conseil d’administration de Socafi-pharma, il y a beaucoup de raisons qui font que l’industrie pharmaceutique ne décolle pas qui sont de plusieurs ordres. « Fondamentalement, les produits qui sortent de nos usines ne sont pas compétitifs. De ce fait, le coût devient très élevé. L’autre élément, c’est par rapport au marché. Nous avons un marché qui est très ouvert et qui ne favorise pas la production locale », renseigne-t-il avec regret.

Président de l’Association des industries chimiques du Sénégal, Dr Abdoul Cissé, indique que le gros handicap pour le développement de l’industrie pharmaceutique sénégalaise, c’est d’abord un problème de système. « Pour pouvoir commercialiser un médicament, il faut ce qu’on appelle une autorisation de mise sur le marché parce que l’industrie du médicament est une industrie à détention lente. Et il faut un marché, il faut des volumes pour développer une usine. Donc, il faut aller en compétition avec les autres pays, les grands laboratoires », a déclaré Dr Cissé lors de son passage à l’émission LR du temps sur iRadio.

« LES MÉDICAMENTS IMPORTÉS NE PAIENT AUCUNE TAXE, NE SUBISSENT AUCUNE FISCALITÉ »

Un autre pilier qui freine le développement de l’industrie pharmaceutique sénégalaise : la fiscalité. « Comment vous pouvez comprendre que les médicaments importés ne paient aucun droit de douane et ne subissent aucune fiscalité », s’interroge Dr Cissé. Qui ajoute, pour le regretter : « nous, quand on commande des matières premières, on paie des taxes. Également quand nous faisons des investissements, nous payons la TVA qu’on ne récupère pas alors qu’elle est un impôt neutre par nature. Tous les médicaments importés ne paient pas de taxe ».

Dr Assane Diop estime également qu’il faut des réformes fiscales. Pour lui, il faut défiscaliser l’industrie. « Il faut également exonérer la taxe en particulier la taxe de tout ce qui est équipements industriels, les intrants et le matériel de conditionnement et de lever la suspension de la TVA au niveau de la Douane », souligne-t-il. À l’instar de la fiscalité le coût de l’énergie amorti l’ascension de l’industrie pharmaceutique. Dr Assane Diop admet que ce que les industries dépensent pour l’énergie est très variable, selon les saisons. Mais, précise-t-il : « au Sénégal, l’énergie va représenter au moins 20%. Ça peut aller même jusqu’à 30 % quand vous décomposez le coût de revient. Et cela impacte sur le prix des médicaments ».

LE SCANDALE PERSISTANT DES FAUX-MÉDICAMENTS

Le trafic de faux médicaments n’est pas en reste. Il compromet aussi le développement de l’industrie pharmaceutique. « Les faux médicaments constituent également un manque à gagner. L’industrie des faux médicaments est pratiquement comparable à la drogue. Il faut parallèlement qu’elle soit menée, qu’elle soit gagnée. C’est une longue bataille », a ajouté Dr Abdoul Cissé.

En effet, pour produire en urgence de la chloroquine pour le traitement de Covi-19 et pour la souveraineté pharmaceutique au Sénégal, le Président de la République avait donné des instructions relatives à la relance d’effective de la société pharmaceutique Médis Sénégal qui a arrêté ses activités depuis le 15 janvier 2020 pour motif de difficultés financières. Mais des lenteurs sont toujours constatées.

« LE MÉDICAMENT VA AVOIR LE MÊME ENJEU QUE LES ARMES »

« Aujourd’hui, tout ce qu’il y a à faire on le sait mais, c’est au niveau opérationnalisation que nous rencontrons des difficultés », a soutenu Dr Cissé indiquant que c’est un dossier assez transversal. « Nous devons trouver ensemble avec la PNA une autre manière de fonctionner pour donner la chance à l’industrie local d’avoir accès à des marchés d’autant que beaucoup de produits qu’ils demandent sont capables d’être fabriqués par nos unités. Médis Sénégal a le savoir-faire, la technologie et tout ce qu’il faut pour pouvoir être le champion du Sénégal dans cette bataille. La production locale au Sénégal a régressé », dit-il. Poursuivant, il plaide pour que l’industrie pharmaceutique, vue les enjeux d’aujourd’hui et de demain dans nos pays, soit considérée comme le secteur de la défense. Parce que, à son avis, le médicament va avoir le même enjeu que les armes.

« Il devait même être pris en charge par le président de la République lui-même, pas en termes de financement mais en termes de pilotage pour contrôler les orientations et l’application des stratégies. C’est cela qui permettra d’aller très vite de gagner. On peut atteindre 50% de couverture des besoins en médicaments du Sénégal à l’horizon 2035 avec des objectifs intermédiaires. En 2025 on peut être à 20%, en 2030 à 30%. Nous sommes en mesure de le faire si l’environnement, les réformes nécessaires, le soutien et l’accompagnement dont nous avons besoin est là. Nous avons le savoir-faire, l’engagement et la volonté », a renchéri le Président de l’Association des industries chimiques du Sénégal. Embouchant la même trompette, Dr Assane Diop prône la mise en place des facilitateurs. Il pense qu’il faut arriver à mettre à niveau l’autorité de régulation.

« Nous avons au Sénégal une direction de la pharmacie et du médicament qui est une division de la direction générale de la Santé. Alors que pour bien faire son travail, il faut une autorité de régulation autonome, indépendant et qui a suffisamment de moyens », a fait savoir M. Diop. Avant d’ajouter : « l’autre élément, pour lui, c’est de permettre aux industries d’accéder à la commande publique. « Il y a certes une préférence nationale mais cette préférence nationale par rapport aux produits importés ne permet pas aux nationaux de s’en sortir ».

Emedia

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