L’énorme scandale de la filière arachidière expliqué aux citadins (Kitane)

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La bombe qu’a fait imprudemment éclater le député M. Cissé Lo dans l’affaire des quotas de semences attribués à des proches du régime corrompu de Macky Sall est loin d’avoir étalé toutes ses éclaboussures. De très nombreux cafards, morts ou vivants, sont à découvrir. Le député a absolument raison de parler de « mafia » : c’est une véritable organisation criminelle qui opère perfidement pour exploiter les paysans.

Nous ne parlerons pas ici de la question de l’illégitimité ou de l’illégalité des quotas accordés à des gens qui occupent des positions de pouvoir. Le plus grave, c’est ce qui se passe en aval, sur le terrain. Il s’agit d’une large superstructure destinée à capter la pseudo subvention de l’arachide et de l’engrais en faveur des paysans. Des fortunés détournent l’argent public, font fructifier leurs affaires, et l’État devient un instrument pour enrichir de façon éhontée et scandaleuse un clan. Cette affaire est tellement grave qu’à défaut d’une commission d’enquête, les institutions judiciaires devraient s’en saisir.

Quand l’État subventionne le prix de l’arachide, il ne subventionne pas le prix au producteur, il subventionne en réalité le prix à l’acheteur ou plutôt à l’arnaqueur. L’État et les paysans sont ainsi arnaqués par un procédé digne des grands truands industriels. Le manège est très élaboré et presque imperceptible : il s’agit d’encaisser indirectement les subventions qui devraient bénéficier au paysan. Le prix au producteur est fixé cette année à 210 frs, mais dans les faits, c’est un prix aux opérateurs.

Car contrairement à ce qui est dit, la pratique des bons est toujours en vigueur : ça s’appelle dans le bassin arachidier « noté ». Lorsque la campagne démarre, peu de paysans ont accès directement à l’argent, car les opérateurs pratiquent la politique de la rétention des devises pour obliger les paysans à aller brader leurs récoltes dans le marché noir. Las d’attendre des financements, certains d’entre eux acceptent de donner leurs graines, de se faire « noter », mais l’attente peut être très longue vu le nombre de « notés ». Ils sont ainsi obligés d’attendre de façon anxieuse la venue d’une voiture 4×4 signe de disponibilité de quelques miettes.

Les autres, trop pressés ou prudents, refusent de céder les graines et préfèrent vendre dans les marchés hebdomadaires au prix de 175 fr le kilo, et devinez qui est mieux placé pour être le client !  C’est l’opérateur véreux qui achète à 175 fr le kilo avec le financement reçu sous couvert de la subvention. Il fait ainsi un bénéfice double : les 23 fr que l’État a subventionnés et les 35 frs de différence entre le prix subventionné et le prix bazardé ! Ainsi, avec ses bénéfices, il va payer ses dettes envers les quelques paysans qui avaient accepté de donner leurs graines à crédit. Le cercle vicieux devient vertueux pour l’homme d’affaires et fatal pour le pauvre paysan.

Le système de vente directe du producteur à l’usine avait été imaginé pour éviter ce servage cruel, mais les malfaiteurs sont extrêmement rusés. La présence des chinois les gêne tellement qu’ils ont inventé le faux problème de risque de pénurie de semences, aidés en cela par quelques fonctionnaires du ministère de l’agriculture qui font le tour des télévisions pour raconter des contrevérités. Tout le monde sait que les paysans prélèvent, depuis quelques années, de leurs récoltes les graines destinées à servir de semences.

La magouille est encore plus dévastatrice lorsqu’il s’agit de semences prétendument certifiées. Ils savent qu’en période de soudure, les paysans prennent les graines subventionnées et les vendent à vil prix pour faire face aux urgences liées à la préparation de l’hivernage. Il n’est pas rare de voir un opérateur distribuer des semences et les racheter par le biais de rabatteurs qui opèrent dans le silence. Le résultat de cette énorme arnaque est que quand le gouvernement déclare avoir envoyé 2 tonnes de semences dans une localité, il se pourrait que seuls quelques kilogrammes aient été effectivement distribués.

C’est exactement le même modus operandi qui est à l’œuvre dans la distribution de l’engrais. L’État et les paysans sont spoliés appauvris au profit d’opérateurs véreux. On voit pourquoi malgré les grandes quantités annoncées chaque année, nos sols sont toujours plus épuisés, moins fertiles. Ces opérateurs sont faciles à identifier, car pour faire prospérer leur lugubre entreprise, ils sont obligés d’être avec tous les régimes. La question qui se pose est de savoir comment l’État peut-il laisser faire une telle pagaille ? Serait-ce possible qu’il ne soit pas informé ? Si c’est le cas, il faut désespérer de la sécurité de notre pays !

* Alassane K. KITANE

 

Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès

 

Président du mouvement citoyen LABEL-Sénégal

 

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