Maroc-Algérie : quand une émission moquant Mohammed VI met le feu aux poudres

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Saâdeddine El Othmani, Aziz Akhannouch, Nizar Baraka… les leaders politiques marocains sont nombreux à s’indigner après la diffusion d’une caricature du monarque sur la chaîne algérienne Echourouk News, réputée proche de l’institution militaire.

Dans une nouvelle escalade médiatique, la chaîne algérienne Echourouk News, réputée proche des cercles de l’armée, a caricaturé le roi Mohammed VI dans une émission diffusée vendredi 12 février, où le chef de l’État marocain est montré sous forme d’une marionnette à l’allure peu flatteuse.

Sur le plateau de « Weekend story », qui reprend les codes de la célèbre émission française des Guignols, le présentateur Bilal Kebache a simulé une discussion avec le monarque, où il l’interroge notamment sur la récente officialisation des relations marocco-israéliennes, ainsi que la reconnaissance de la marocanité du Sahara par l’administration américaine, à la fin du mandat de Donald Trump.

Moqueries
Le journaliste, qui sous-entend que la nouvelle administration Biden reviendra sur cette reconnaissance, tacle : « Trump est parti, et le tweet (de reconnaissance) a disparu avec la dissolution du compte Twitter de l’ex-président. À quoi bon tout cela ? » Et de soutenir que « de vastes manifestations ont eu lieu au Maroc pour dénoncer ces décisions et réclamer la dissolution du Parlement ».

Ce à quoi la marionnette répond en soupirant : « Moi après le tweet de Donald Trump, je n’ai rien gagné, je n’ai pas gagné le Sahara, ni l’assentiment du peuple marocain ni ma tranquillité en tant que roi ».

S’ensuit alors une série d’informations fantaisistes telles que « la République sahraouie est reconnue par la grande majorité des pays africains, par l’Europe et par le monde entier ». Ou faisant dire au roi par le biais de la marionnette : « Posez donc ce que vous avez à la main [le livre « Le Roi prédateur », des journalistes Catherine Graciet et Eric Laurent], et je vous donnerais un million d’euros comme je l’ai fait avec les auteurs de cet ouvrage. »

De son côté, Slimane Saadaoui, député à l’Assemblée populaire nationale du parti au pouvoir le Front de libération nationale (FLN), invité sur le plateau déclare, en référence au baise-main au roi, d’usage au Maroc : « Moi, je ne me prosterne que devant Dieu ». Et se tournant vers la marionnette représentant le monarque, il lance : « C’est un malade, celui-là », pointant ce qu’il considère comme une « servitude volontaire » du peuple marocain.

L’émission n’a pas manqué de déclencher une vague d’indignation au royaume, aussi bien dans la sphère politique que sur les réseaux sociaux. À commencer par le Chef du gouvernement marocain, Saâdeddine El Othmani, qui a écrit sur son compte Twitter : « Au vu des succès continus du pays à plus d’un niveau, et dans le dossier du Sahara marocain en particulier, les médias opposés mènent une guerre d’insultes contre les institutions constitutionnelles du pays ainsi que le roi Mohammed VI », ce qui « est rejeté et dénoncé par le peuple marocain ».

Vagues d’indignation
« Ces agissements inacceptables et condamnables non seulement violent le respect dû à un chef d’État d’un pays voisin, mais enfreignent également les lois les plus élémentaires et les comportements d’usage », a souligné de son côté Abdellatif Ouahbi (PAM) sur Facebook, qualifiant d’« enfantin, d’irresponsable et d’étranger à notre culture commune ce comportement que nous ne pouvons que condamner ».

«Le recours par certains médias manipulés par des milieux algériens dépités par leurs récents revers successifs à des procédés indignes et ridicules, portant atteinte au symbole de la nation marocaine, est l’expression même de la perte de toute raison et d’une quelconque éthique », martèle de son côté Nabil Benabdallah, le secrétaire général du PPS.

Nizar Baraka, secrétaire général du Parti de l’Istiqlal, s’est, quant à lui, interrogé sur les motifs de « cette hostilité de l’Algérie voisine à l’encontre du Maroc. La presse dirigée en Algérie a-t-elle épuisé tous les problèmes du peuple frère algérien qui aspirent dans son printemps démocratique à la liberté, à une vie digne et à un juste partage des richesses ou bien tente-t-il malheureusement, comme à son habitude, d’exporter la crise et de fabriquer un ennemi imaginaire pour duper et détourner le citoyen algérien de ses véritables préoccupations et de ses revendications légitimes ? »

Les hashtags الملك_خط_احمر# et#الملك_محمد_السادس_خط_احمر (« Le Roi est une ligne rouge ») figure ainsi dans le top des tendances sur les réseaux sociaux marocains.

«Le pire est que les médias militaires compensent les échecs diplomatiques, politiques et économiques pour le développement de leur pays par une victoire fictive qui fait d’eux la risée du monde. Malheureusement, nous sommes face à un Etat fou qui est prêt à tout faire sans aucune considération», a déploré le professeur de droit constitutionnel à la Faculté des sciences juridiques et économique à Mohammedia, Omar Cherkaoui.

La Fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ) a d’ailleurs dénoncé «vigoureusement» samedi le comportement «irresponsable» de la chaîne de télévision algérienne Echourouk qui a diffusé une émission attentatoire à l’institution monarchique.

De son côté, l’Association nationale des médias et des éditeurs a publié un communiqué dans lequel elle déclare que « les attaques immorales de la chaîne officielle algérienne Echourouk », découlant d’un «acte condamnable qui n’a rien à voir avec l’éthique de la profession journalistique». Le Conseil national de la presse (CNP) a condamné également l’émission satirique de la chaîne algérienne et l’a accusée d’inciter à la guerre entre les deux pays.

L’émission d’Echourouk intervient dans un contexte de regain de tensions entre les deux voisins, causées notamment par l’évolution de la situation au Sahara. Après plusieurs semaines de blocage du point de passage d’El Guerguerate par le Polisario, l’armée marocaine a dû intervenir militairement pour déloger les barrages. Suite à quoi, le Polisario a décrété la fin du cessez-le-feu en vigueur depuis 1991 et affirme avoir lancé une série d’attaques contre le mur de défense marocain, attaques systématiquement relayées par Algérie Presse Service (APS).

La reconnaissance américaine par Donald Trump de la marocanité du Sahara le 10 décembre et l’annonce concomitante du rétablissement des relations diplomatiques entre le royaume et Israël ont, à l’évidence, accentué les divergences entre les deux « pays frères ». Sur le continent africain, les deux pays se livrent une guerre d’influence diplomatique, notamment au sein des instances de l’Union africaine.

Jeune Afrique

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