Mesures de sauvegarde de notre économie: Professeur Babou, vous n’avez pas raison ! Par Abdou Latif Coulibaly

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Professeur, je sais que vous prenez souvent la parole dans les médias, ainsi je constate que les journalistes aiment bien vous solliciter, ils vous demandent et vous leur en donnez à satiété. Tant mieux alors pour la richesse du débat public. Sauf que pour cette fois ci, sous réserve du respect que je dois à votre rang de professeur, je ne suis pas d’accord avec certaines idées que vous avez développées sur le site internet «PressAfric» quand vous déclarez : « Le Sénégal ne peut bénéficier d’une annulation de sa dette ». A l’appui de votre thèse, vous développez assez imprudemment les idées ci-après : « contrairement aux Pays africains les moins avancés (acronyme PMA), le Sénégal ne peut bénéficier de l’annulation de sa dette. Or, une des possibilités qui s’offraient au Sénégal pour un éventuel effacement de sa dette était de figurer sur cette liste des PMA à l’image de la Guinée où même du Mali. Il y a aussi le fait que la part des institutions financières internationales, qui auraipu régler la situation, ne représente même pas 10 % de la totalité de sa dette ». 

Professeur, si je comprends bien vous êtes invité à prendre la parole en votre qualité de professeur. On sollicite le point de vue d’un scientifique détenant le savoir, les connaissances et les prérequis utiles, pour valablement éclairer les citoyens qui veulent naturellement savoir si notre pays, dont le président a eu l’initiative de solliciter la communauté internationale pour un effacement de la dette de l’Afrique, pourrait, le cas échéant, en bénéficier. Quand vous parlez comme vous l’avez fait dans cette déclaration qui a retenu mon attention, je me demande si le scientifique n’est pas trop imprudent en se montrant si absolu dans sa façon de comprendre et d’expliquer les conditions qu’un pays doit remplir pour être éligible à une éventuelle initiative d’effacement de dette. Professeur, puis-je me permettre de vous rappeler que James Gleick dans la théorie du chaos explique bien ceci : « la relativité a éliminé l’illusion newtonienne, le chaos élimine l’utopie d’un espace et d’un temps absolu ; la théorie quantique a supprimé le rêve d’un processus de mesure contrôlable. Le chaos élimine l’utopie Laplacienne d’une prédicabilité déterministe. » 

Rien n’est moins sûr que le modèle adopté au début des années 2000, pour matérialiser le processus d’annulation de la dette dans le cadre de l’initiative Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) sera reconduit. En 2000, le mécanisme mis en œuvre reposait essentiellement sur, entre autres critères, l’idée forte que les seuls pays identifiés comme étant les moins avancés économiquement au monde (PMA), étaient éligibles à l’effacement de dettes. Toutefois, dans les discussions actuelles, les États demandeurs et les pays riches ne sont pas dans le cadre de l’initiative PPTE, mais dans un contexte exceptionnel qui amène les pays en difficultés (PMA ou pas) à demander un allégement ou une annulation de leur dette. Sur cette base, lier toute révision de la dette à l’appartenance des pays bénéficiaires aux PMA est pour le moins inconvenant. 

L’initiative PPTE étant achevée, tout pays qui le souhaite peut solliciter de ses créanciers une annulation de sa dette. Les décisions d’annulation peuvent par exemple s’appuyer sur des mécanismes dans lesquels pèsent grandement les concepts de bonne gouvernance et de politique sociale. Le cas échéant, je puis affirmer que le Sénégal serait éligible. 

Le professeur d’économie à l’UCAD s’est aussi prononcé sur la question de la dette intérieure que l’Etat doit au privé national en rappelant que : « des entreprises nationales, ou en tout cas exerçant dans notre pays, courent derrière l’Etat pour obtenir le paiement de la dette colossale qu’il leur doit. Il a fallu qu’elles le relancent de façon intempestive pour que le gouvernement décaisse 300 milliards FCFA dans une cagnotte à hauteur de 1000 milliards FCFA afin de soulager quelques-unes. Toutes les entreprises qui ont eu à travailler avec ce régime sont dans la dèche ». La dette de l’Etat sur le secteur privé est difficile à évaluer, en ceci que les chiffres présentés peuvent parfois varier selon la position de celles qui les donnent. Toutefois, comment peut-on considérer dans un raisonnement économique cohérent, que cet apport de trésorerie aux entreprises est insignifiant, dans un contexte de crise économique d’une ampleur aussi considérable que celle provoquée par la pandémie du Covid 19 ? Il s’y ajoute que ce montant de 300 milliards de FCFA tient compte à la fois des dettes échues à la date de l’annonce faite par le Chef de l’Etat et d’autres qui devraient échoir, selon nos sources, dans les deux mois ayant suivi la prise de décision. Sur cette base, l’allocation de l’Etat aux entreprises apparait comme une mesure avec un réel effet sur la survie et la viabilité de nos entreprises, même si cette allocation pourrait être considérée par certains comme une simple régularisation d’un engagement resté en arriéré de paiement. 

Pour mieux saisir la distinction faite entre dettes échues et à échoir, on rappellera que la classification de notre dette intérieure (dettes échues et à échoir) prévoit un délai de 90 jours au-delà duquel toute dépense ordonnancée et non payée est considérée comme un arriéré. Abordons un autre point de critique qui n’a, pour dire le moins, rien d’une analyse scientifique du niveau du professeur. Lisez bien : « (…) étant donné que nos politiques vantent le Sénégal partout ailleurs,chiffres à l’appui, comme étant un pays avancé avec une croissance économique de l’ordre de 7 % ; là on ne peut plus bénéficier de la faveur économique qu’est l’annulation de dette. L’autre réalité, c’est que le pays n’est pas dans une situation de crise incommensurable bien que nous soyons touchés par la pandémie comme d’autres pays. Il convient même de se demander ce qui se serait passé si par exemple tous les pays touchés par le Covid19 demandaient la même chose par rapport à leurs créances. Ce sera l’hécatombe financière internationale »Troisième point de critique de vos développements sur le taux de croissance de 7%.
En principe, les pays qui ne bénéficient pas de ces facilités ne sont pas évalués sur le niveau de croissance élevé, mais sur l’amélioration des indicateurs de développement comme l’évolution du PIB par habitant et les services sociaux de base (santé éducation, etc.). Autrement dit, si un pays dispose de taux de croissance élevés sans avoir encore atteint une amélioration significative de ses indicateurs sociaux, il est généralement éligible aux facilités internationales. L’unique seuil pour mesurer le niveau acceptable de la dette se trouve dans les critères de convergence de l’UEMOA. Ainsi les pays membres se sont engagés à ne pas s’endetter pour plus de 70% de leur PIB. Ce critère porte sur le niveau d’endettement et non sur la vitesse d’endettement. Tant que le Sénégal reste dans les clous de l’Union, sa dette est réputée conforme à ses engagements et aux exigences du marché financier. 

Dans le cadre de la préservation de notre économie, l’Etat a décidé de soutenir directement les entreprises afin de maintenir les emplois et de préserver les outils de travail et de production, et a misé tout d’abord sur l’injection de liquidités qui comprend : 302 milliards de francs CFA pour lespaiements dus aux  fournisseurs de l’EtatN’oublions pas le remboursement des crédits de TVA dans des délais raccourcis pour remettre de la trésorerie aux entreprises, sans compterdes mesures fiscales et douanières avantageuses pour l’entreprise et qui comprennent des remises et des suspensions d’impôts (retenues opérées sur les salaires et les cotisations sociales que les entreprises du secteur privé versent à la Caisse de sécurité sociale et à l’IPRES). On note aussi le différé jusqu’au 15 juillet 2020 des paiements des impôts et taxes pour les PME et entreprises. Il a accordé 200 milliards de francs CFA de remise partielle de la dette fiscale des entreprises et personnes physiques arrêtée à la date du 31 décembre 2019Les scientifiques intègrent tous les paramètres qui doivent entrer en ligne de compte dans leur analyse. Les politiques eux passent parfois par des raccourcis. Lequel des deux a parlé ?

Par Abdou Latif Coulibaly 

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