Selon un rapport du Groupe de Recherche Interdisciplinaire regroupant 29 experts sur le Covid-19, rendu public le 27 Avril 2020 à Dakar, un confinement total d’un mois n’est pas pertinent et coûterait plus de 2485 milliards CFA.
Le confinement total est une stratégie de lutte contre une épidémie dont l’objectif est de ralentir la transmission de l’agent pathogène responsable de la maladie. Elle vise essentiellement à restreindre les contacts humains et à limiter les déplacements. Elle arrive au troisième stade de lutte après l’échec des mesures barrières, d’hygiène des mains et de distanciation sociale. Elle a été utilisée en Chine avec des résultats jugés satisfaisants. Pour le cas du Sénégal, cela ne semble ni évident ni pertinent selon ces experts.
Le Sénégal dans un scénario de confinement total d’un mois, d’après nos estimations se retrouverait à -9,9% de récession avec un taux d’activité de 33,64%. La perte fiscale serait de 297 milliards ou 7,4% du budget 2020. Le secteur informel subirait une perte de revenu de 594 milliards. Le coût économique total d’un mois de confinement total pour le Sénégal serait supérieur à 2485 milliards CFA (16,56% du PIB) et aurait son corollaire en termes de chômeurs, d’augmentation de la pauvreté et d’instabilité sociale et politique.
En revanche une stratégie alternative de dépistage serait plus efficiente. En effet, le coût de dépistage s’élève à un peu plus de de 310 milliards de francs CFA soit presque 5 fois inférieur au coût fiscal d’un mois de confinement. Mais cela représente un coût 8 fois inférieur au coût économique total d’un mois de confinement.
Si le dépistage massif est accompagné de la généralisation du port du masque, nous obtenons un coût économique plus faible.
En effet, si les masques sont produits localement et destinés à la population de plus de 5 ans, la valeur de la production sera de 34 milliards 560 millions de CFA. Si l’on déduit ce montant du coût du dépistage, nous aurons un coût économique final de 275 milliards 460 millions de CFA pour l’économie ; ce qui représente un coût 9 fois inférieur au coût économique total d’un mois de confinement.
Les mesures de résilience économique et sociale arrêtées par le gouvernement pour un budget de 1000 milliards CFA dans l’ensemble vont dans le bon sens mais il convient de dire que le secteur informel et le secteur agro-sylvo-pastoral doivent mériter une attention particulière.
D’une part parce qu’ils contribuent pour près de 50% au PIB et d’autre part parce qu’ils regroupent 95% des emplois.
Compte tenu des capacités financières limitées de l’Etat, la banque centrale doit monter au créneau pour entrainer le système financier dans une nouvelle dynamique de crédit à l’économie.
Cette crise appelle à un changement de paradigme de la politique économique. L’urgence c’est la transformation sur place des produits de base. Elle est la voie salutaire pour enclencher un développement endogène et durable qui réduirait notre vulnérabilité aux chocs externes.
La stratégie d’industrialisation doit être basée sur la capacitation des petites unités de production de biens permettant la satisfaction des besoins essentiels des populations.
En effet, souligne le rapport, outre les craintes inhérentes à l’effondrement de l’économie nationale, le sort des couches sociales vulnérables suscite des inquiétudes majeures, à l’idée d’un confinement total du pays.
Pour ce qui est, d’un côté, des différents secteurs de l’économie sénégalaise dont une partie importante subit déjà le contrecoup de la crise sanitaire mondiale, c’est la menace d’un abîme généralisé qui s’opère avec la perspective du confinement : chute de l’activité productive, secteur informel à genoux, aggravation de la baisse du chiffre d’affaires des entreprises en proie déjà au marasme ambiant, pertes colossales de recettes pour l’Etat, chômage massif, arrêts provisoires de travail lourds d’incidences financières dans le public comme dans le privé, faillites à la pelle, raréfaction de l’investissement, recul de l’initiative entrepreneuriale, régression significative de la consommation des ménages, insoutenabilité du service de la dette publique, aggravation du déficit budgétaire, etc.
D’un autre côté, au titre des dommages sociaux, ils pourraient atteindre des proportions à la limite de la famine.
Les Sénégalais sont, pour une large part, aux prises avec la pauvreté, obligés de pourvoir chaque jour aux besoins vitaux les plus élémentaires (hygiène, alimentation) au bénéfice de leurs familles souvent nombreuses.
Une vie au jour le jour, lot quotidien d’une majorité de compatriotes dans les villes comme dans les campagnes, dont on peut s’inquiéter à juste titre de leurs capacités de résilience en temps de confinement total. Aussi, il y a le secteur informel qui serait entièrement affecté alors qu’il génère plus de 95% des emplois dans le pays. De l’agriculture au commerce, en passant par l’artisanat, la main d’œuvre, entre autres, les différentes composantes de l’informel seraient mises en berne, avec des pertes insurmontables de revenus conduisant à des conséquences sociales dramatiques en termes de paupérisation, de surendettement et de crise alimentaire.
C’est donc dire que notre système d’interactions sociales, en particulier, la nature fondamentalement informelle du système de production sénégalais pose un risque de taille à la réussite des politiques de confinement et de distanciation sociale. Notre système de production repose en effet sur un complexe écosystème de petits acteurs informels, sur lesquels l’Etat n’a que très peu de visibilité, encore moins de contrôle. Les entreprises individuelles, les entreprises familiales, les autres micro- et nano-entreprises, évoluant dans l’agriculture, l’industrie et les services, constituent plus de 97% de notre outil de production. Ils contribuent au PIB pour au moins 40% et à l’emploi, pour au moins 95%. Ces activités sont souvent très faiblement mécanisées, très peu productives, et à fort contenu de main- d’œuvre.
Ce qui fait dire à Pr Ahmadou A. Mbaye (2020) que la promiscuité est leur caractéristique dominante : promiscuité dans les pirogues qui s’adonnent à la pêche artisanale, dans les marchés aux légumes et au poisson, aux abattoirs et autres marchés à ciel ouvert, dans les bus, taxis, et autres systèmes de transport, dans les gargotes et autres dibiteries, dans les unités de transformation de poissons et autres produits primaires. Face à une telle configuration de l’activité productive, toute mesure de distanciation sociale passera forcément par une forte contraction, voire un arrêt total d’une bonne partie des activités productives du pays. Ce qui n’est pas sans poser un certain nombre de risques.
Il y a, en effet, un important risque de perturbation, voire de rupture des chaines de production et de distribution des produits de consommation de masse. Ce qui, en augmenterait les prix, et favoriserait par là-même l’instabilité sociale, en particulier dans les zones urbaines, du fait de la nature sensible des produits concernés.
Par ailleurs, les moyens de subsistance de l’écrasante majorité des sénégalais deviennent menacés, si on considère qu’environ seulement 500.000 personnes sont employées dans les institutions publiques et privées formelles et que la quasi-totalité des autres ont des revenus informels, souvent précaires.
La réalisation de ces deux scénarios couplerait pertes de moyens de subsistance et baisse substantielle, voire perte totale de revenus, pour la majorité des sénégalais.
La récession sera inévitable dans ce cas de figure. Etant donné que les activités informelles représentent environ 40% du PIB sénégalais, une réduction de la production informelle de moitié, toutes choses étant égales par ailleurs, induirait une baisse du PIB de l’ordre de 20%.
Lorsque nous considérons le ralentissement des activités au niveau même du formel (hôtels à l’arrêt, activités aéroportuaires suspendues, restaurants fermés, autres activités au ralenti), il ne serait pas exagéré d’anticiper une très forte réduction du PIB, de l’ordre de 50% ou plus. Ce qui, en retour, priverait l’Etat de ses moyens d’interventions usuels, et mettraient en péril les filets sociaux existants ou annoncés.
Enfin la situation de fragilité découlant de cet état de fait serait de nature, si elle n’est pas correctement maitrisée, à culminer vers une situation d’instabilité politique.
Pour toutes ces raisons, analysées et invoquées par le Pr Ahmadou. A. MBaye (2020) les conséquences sociales des nécessaires mesures de confinement qui touchent directement les moyens de subsistance des personnes les plus démunies, doivent être appréhendées et prises en compte dans la prise de décision
Au Sénégal, et en Afrique la cinétique de l’épidémie est beaucoup plus modérée qu’ailleurs. Le confinement général tant galvaudé au Sénégal obéirait-il à une logique purement médicale ? Où se trouve la nécessité de ralentir une cinétique qui est déjà très lente avec un système de santé qui n’a jamais été débordé ?
De plus, ses effets collatéraux néfastes sur le système hospitalier pourraient à terme entrainer une mortalité hors COVID19 plus importante que celle liée au Coronavirus.
Enfin le confinement total pourrait ralentir l’installation de l’immunisation collective de la population qui est absolument nécessaire en l’absence d’un traitement clairement identifié pour l’instant.
Au vu de toutes ces données un confinement total nous parait non pertinent dans la situation actuelle selon ces experts.
A la place d’un confinement général,ils préconisent « d’alléger certaines mesures de restriction collectives et de promouvoir rigoureusement les mesures barrières individuelles qui peuvent être efficaces et suffisantes si elles sont bien suivies. En particulier, il nous semble sage de généraliser le port de masques barrières de qualité avec une bonne communication ciblée sur leur fonction et leur bon usage, et aussi d’évaluer de façon dynamique leur impact ainsi que celui des autres mesures de lutte entreprises jusqu’ici.
Aussi conviendrait-il de mieux protéger les groupes à risque notamment les personnes âgées et porteuses de comorbidités avec un système de confinement adapté à leur situation, le pic épidémique étant prévu entre mi-mai et début juin 2020 après modélisation.
Par ailleurs la stratégie du dépistage massif accompagné de la généralisation du port du masque semble plus efficace. En effet, du fait d’un dépistage plus massif, l’Allemagne a 20% de plus de cas confirmés en densité que la France (267 par million d’habitants contre 216) au total. Si on élargit la comparaison aux pays asiatiques que sont la Corée du Sud, Taiwan et Singapour ayant pratiqué un large dépistage, la France présente une densité de décès 14 fois supérieure à la moyenne (16,4 vs 1,2 par million d’habitants).
Touchée de plein fouet par la pandémie de coronavirus, l’économie sénégalaise, qui espérait réaliser un taux de croissance de 6,8% à la fin de cette année, pourrait en faire seulement 3%.
Le Tourisme, les transports aériens, l’hôtellerie et la restauration sont les branches les plus affectées. Les transferts des émigrés sénégalais sont en chute et plus de risques vont peser sur investissements étrangers.
Par ailleurs, poursuivent ces experts, des conséquences sociales graves vont affecter le secteur informel qui représente 96,4% des emplois. Compte tenu de sa place dans l’économie et de son caractère précaire, le secteur informel risque de générer un chômage massif et plus de pauvreté, lesquels vont favoriser la propagation de pathologies diverses.
Outre les craintes inhérentes à l’effondrement de l’économie nationale, le sort des couches sociales vulnérables suscite des inquiétudes majeures, à l’idée d’un confinement total du pays. D’après nos estimations, en cas de confinement total au Sénégal, l’année 2020 connaitrait une récession économique de -9,9% par rapport au PIB de 2019 c’est-à-dire 1485 milliards de baisse du produit intérieur brut.
A titre de comparaison la Banque de France prévoit, pour l’économie française, une récession de -1,5% par quinzaine de confinement, ce qui correspond à -3% pour un mois mais avec un taux d’activité de 32% ; et pour l’année 2020 une récession de – 9% est prévue.