Le ministre de l’Intérieur, Antoine Félix Diome, avait pu mesurer la charge qui l’attendait. Il n’était pas sans savoir que la fonction de ministre de l’Intérieur, pour prestigieuse qu’elle soit, n’en est pas moins prenante et l’exposerait. Seulement, Antoine Diome ne se laisse pas impressionner par l’adversité, encore moins par les diatribes ou les insultes. L’homme a bien fini de prouver qu’il sait être inflexible, pour mener à terme les missions qui lui sont confiées et surtout rester fidèle et loyal à l’Etat, à la République. Il a une autre qualité, celle de l’engagement et du dévouement. Le Président Macky Sall sait pouvoir compter sur lui. Tout chef d’Etat a besoin d’un homme du genre, qui sait faire face. Vantant les mérites de son ministre des Affaires étrangères, Nikita Khrouchtchev disait un jour à Charles de Gaulle : «Gromyko, si je lui dis de s’asseoir sur un morceau de glace, il le fait jusqu’à ce que la glace fonde». «Couve de Murville en fait autant pour moi, lui répondit le général. Mais la glace ne fond pas.»
A la veille de l’élection présidentielle de 2019, un de ses amis voyait en Antoine Diome «un possible bon ministre de l’Intérieur de Macky Sall». Peut-être que Antoine Diome ne croyait pas trop à cette «prophétie», mais son interlocuteur lui prodiguait de s’inspirer, le cas échéant, de la vie de Maurice Couve de Murville et lui filait un des plus mémorables viatiques laissés à la postérité par ce fidèle d’entre les fidèles, du Général Charles de Gaulle : «La volonté, c’est celle d’être soi-même l’artisan de son destin – autant qu’on le peut, et on le peut bien davantage qu’on ne le croit communément. C’est de ne s’en laisser imposer ni du dedans ni du dehors, ni tout simplement par l’incident du jour. C’est de pratiquer une politique délibérée, voulue précisément, que l’on définit soi-même. Se laisser imposer sa politique, c’est d’ailleurs être assuré de recueillir, de chaque action, les seuls désavantages.»
Antoine Diome enfile le treillis de Macky Sall
Antoine Diome est sur les traces de Macky Sall. Quand le Président Abdoulaye Wade décidait en 2003 de nommer Macky Sall au poste de ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et des collectivités locales, porte-parole du gouvernement, les appréhensions étaient grandes quant à la lourdeur des charges qui allaient peser sur les épaules de ce quadra. Très rapidement, Macky Sall aura l’audace de s’imposer dans son milieu. Il a mis les godasses et s’est mis à la tête des troupes pour relever le défi de la lutte contre l’insécurité qui était grandissante dans la grande banlieue de Dakar, où la présence des forces de sécurité de l’Etat avait commencé à être interdite par de jeunes caïds de tous acabits. Le ministre de l’Intérieur Macky Sall avait pour leitmotiv de restaurer l’autorité de l’Etat. Il y était arrivé.
Antoine Diome arrive à la Place Washington, dans un contexte où l’autorité de l’Etat se trouve atteinte. Les actes de défiance à l’endroit de l’Etat constituent le quotidien des populations. Combien de fois a-t-on déploré, à travers ces colonnes, l’affaissement de l’autorité de l’Etat ? Suite au saccage des locaux du Tribunal de Louga, nous mettions en garde, le 2 décembre 2019, contre «la défiance sans fin à l’autorité publique». Et le 23 décembre 2019, des forces de police se trouvaient pourchassées à Mbour par des hordes de pêcheurs en furie. Nous barrions notre chronique, en date du 2 janvier 2020, du titre Sauver l’Etat de l’humiliation. Nous écrivions notamment que : «Si les vandales du Tribunal de Louga étaient punis à la hauteur de leur forfait, les pêcheurs de Mbour auraient réfléchi à deux fois avant de pourchasser les policiers et de filmer à cœur joie leurs exploits.» Cette situation est encore d’autant plus regrettable qu’elle ne constituait guère une première. En effet, nous avions encore en mémoire les exemples de l’envahissement du Commissariat urbain de Kolda, le 17 mars 2017, par des conducteurs de motos Jakarta. La foule en furie, dans une expédition punitive contre la police, avait saccagé le domicile du commissaire de police. Le 15 juin 2019, la gendarmerie de Koungheul avait à son tour été saccagée. Le 13 novembre 2016, des populations du quartier Guet-Ndar à Saint-Louis avaient saccagé une école et un poste de gendarmerie. Les forces de sécurité de l’Etat avaient subi les mêmes affronts à Podor et à Kédougou, où des installations de la gendarmerie nationale avaient été attaquées. En mai 2018, les gendarmes de Saint-Louis avaient dû dégainer en laissant un étudiant sur le carreau, pour se sortir de l’étau des étudiants grévistes de l’Université Gaston Berger. En février 2020, des jeunes du quartier de Guet-Ndar s’en prenaient une fois de plus aux gendarmes.
C’est dire qu’à chaque fois l’Etat perdait la face, et l’émoi passé, les auteurs de ces forfaits restaient impunis ou absous ou tout au plus sanctionnés à de légères peines. Comble ! On avait vu un cortège du ministre de l’Intérieur, stoppé net en pleine circulation par des «baye-fall», qui exigeaient aux automobilistes de leur donner des sous pour, disaient-ils, préparer le Magal de Touba. Quand les éléments de la sécurité avaient cherché à dégager la voie, ils s’étaient vus désavouer et le ministre de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye, disait aux médias, dans un rire : «Si je savais que ces personnes préparaient le Magal de Touba, j’aurais donné ma contribution». Antoine Diome a ainsi hérité d’une situation catastrophique et désastreuse pour l’image de l’Etat ; le Sénégal se muant en un Etat où le désordre et la désobéissance sont les voies privilégiées pour se faire entendre. Il revient à l’Etat républicain, pour le bien de tous, de se montrer maître du jeu. Il y a un ordre et une stabilité à garder.
Au-delà des mesures contre le Covid-19, la nécessité pour la République de reprendre son souffle. A une succession d’actes isolés ou d’outrages commis par des groupes zélés, on en arrive à observer aujourd’hui systématiquement que toute instruction ou recommandation des autorités publiques suscite une défiance, voire une opposition prononcée. Cela, sans aucune raison valable, sans argument légitime, ces postures ne reposent que sur le simple fait de ramer à contre-courant ou de prendre le contre-pied de l’ordre commun. Ce triste spectacle a été malheureusement entretenu par les pouvoirs publics. Concessions après concessions, outrages après outrages, abus après abus, l’Etat du Sénégal n’a cessé de chercher des faux-fuyants et échappatoires, évitant de frustrer tout groupe, au détriment même des recommandations et orientations de ses services.
La levée de boucliers après l’instauration d’un nouveau couvre-feu, suite à la recrudescence des contaminations dans cette deuxième vague de pandémie du Covid-19, rentre dans ce registre. Des populations se disent qu’elles sont libres pour leur propre confort de s’opposer à des interdits et de ne pas se conformer à des règles imposées à toute la communauté. Des scènes de défiance avaient été enregistrées dans de nombreuses localités. A chaque fois, l’Etat lâchait du lest et acceptait le diktat des «révoltés». On a alors vu les conséquences des ravages de la pandémie, avec de nombreuses pertes humaines qui ont été enregistrées durement dans tous les milieux sociaux. Ces énormes pertes ont sans doute permis à de nombreuses personnes de retrouver la raison. Quelles attaques n’avions-nous pas essuyé quand on avait par exemple demandé, le 10 août 2020, «Doit-on célébrer le Magal et le Gamou comme d’habitude ?». Il est heureux qu’aujourd’hui le khalife général des Mourides, Serigne Mountakha Mbacké, décide de surseoir au rassemblement du Magal de Porokhane.
Macky Sall bannit les laisser-passer
Les populations ont vu, au fil des ans et surtout dans les derniers mois dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, des abus commis à tous les niveaux de la société et dans une totale impunité. Ces populations ne font donc que mimer un mauvais exemple d’en haut, se disant que rien de dommageable ne leur arrivera en brisant des règles ou en instillant du désordre, quelles qu’en soient les conséquences sanitaires et sociales. Les mauvais exemples viennent en effet de l’élite sociale, politique, économique et religieuse. Dans ces milieux, les mariages, baptêmes, cérémonies de deuil, soirées festives et autres rassemblements de personnes continuent de se poursuivre comme si de rien n’était, en dépit des interdictions brandies par les autorités de l’Etat. Ainsi, voir des jeunes de plusieurs quartiers de Dakar s’adonner à un jeu du chat et de la souris avec les Forces de l’ordre symbolise à quel point tout dans l’unité sociale et familiale a failli. On a froid dans le dos en se disant que ce pays a produit une horde de fils qui sont tout sauf des citoyens et dont l’identification est avant toute chose à leur communauté immédiate qu’à la Nation. Il reste néanmoins que c’est à l’Etat, dans ce désordre qui n’augure rien de bon, de siffler la fin de la récréation et restaurer son autorité. Dans cet esprit, le Président Sall a rendu les choses faciles pour Antoine Diome en lui intimant l’ordre de ne délivrer aucun laisser-passer pour circuler durant les heures de couvre-feu. En Conseil des ministres, le chef de l’Etat a insisté sur ce point, indiquant que même les membres de sa famille ne devraient en recevoir. Ainsi, les autorités en charge de l’application de la mesure de couvre-feu sont assez à l’aise et pratiquent quelques tolérances au profit des membres des corps de métiers dont la circulation est nécessaire, sinon indispensable. A titre de comparaison, lors du premier couvre-feu décrété en mars dernier, des embouteillages étaient observés par exemple dans le secteur des Almadies du fait que le tout-Dakar avait reçu des laisser-passer. La pauvre Hiba Thiam aurait peut-être eu la vie sauve si le laxisme n’avait pas permis à des fils de riches de bénéficier de laisser-passer pour faire la fête à des horaires de couvre-feu.
Le Covid-19 est un mal contre lequel notre pays lutte, mais il devra être l’occasion de poser les vraies questions quant à notre modèle de vie en société. Il y a bien des années que notre République s’effiloche et est sous assistance respiratoire. Il revient aux dépositaires des prérogatives et de la force publique de la réanimer avant qu’il ne soit trop tard.
Du reste, l’exemple venu des Etats-Unis d’Amérique la semaine dernière, avec l’invasion du Capitole par des militants extrémistes acquis à la cause du Président sortant Donald J. Trump, donne une idée assez hideuse de tout le mal que fait la désinformation et son relais incontrôlable dans les réseaux sociaux, l’irrévérence envers un ordre démocratique et à qui on reproche tous les maux, la tendance de faire du populisme la voie tracée d’une conquête politique sans foi ni éthique. En regardant les images de Donald Trump haranguant ses partisans pour prendre d’assaut le Capitole, on a pu se souvenir des images des Ousmane Sonko, Idrissa Seck et autres après la victoire de Macky Sall en 2019.
Ousmane Sonko donne le bâton pour se faire battre
Nous avions consacré notre chronique du 4 janvier 2021 à la levée de fonds, via internet, par le parti Pastef. Le ministre de l’Intérieur avait tenu à mettre en garde quant à l’illégalité d’une telle opération. Cela a peut-être eu le mérite de pousser les camarades de Ousmane Sonko à arrêter leur initiative, même s’ils continuent de dire que rien ne les détournera de leurs objectifs. Leur principale ligne de défense aura été que l’actuel chef de l’Etat, Macky Sall, du temps où il était opposant de Abdoulaye Wade, clamait partout qu’il bénéficiait de subsides que lui versaient des compatriotes sénégalais établis à l’étranger pour financer ses activités politiques. Est-ce parce que Macky Sall n’avait pas été poursuivi pour une supposée violation de la loi que l’infraction ne devrait plus exister ? Il y a cependant à souligner que Macky Sall, le 28 janvier 2009, à la veille des élections locales, avait été longuement entendu par la police pour des accusations portées par le régime du Président Abdoulaye Wade de blanchiment d’argent et d’association de malfaiteurs. On reprochait à Macky Sall d’avoir reçu de l’argent provenant du Gabon, par le truchement de son compatriote Abdoulaye Sali Sall, pour financer ses activités politiques. Macky Sall avait fini par être relâché faute de preuves. Ousmane Sonko ne laisserait-il pas de preuves derrière lui dans le cadre d’une souscription publique à travers les réseaux sociaux ?
Au demeurant, Ousmane Sonko risque de donner le bâton pour se faire battre. L’argument de ses défenseurs serait que la loi n’interdirait pas à des Sénégalais établis à l’étranger de pourvoir des subsides au profit d’un parti politique au Sénégal. On peut bien deviner que ce serait un jeu d’enfant, pour un pouvoir politique qui songerait à nuire à un opposant, de trouver le moyen d’identifier, parmi des milliers de donateurs, des citoyens étrangers ou appartenant à des milieux interlopes qui participeraient au financement. Le cas échéant, Ousmane Sonko ne pourrait pas dire n’avoir pas été prévenu alors que rien n’obligeait Antoine Diome à estimer devoir tirer la sonnette d’alarme.