L’Etat parasite du Sénégal (Par Aliou Ndiaye Mame Ngoné)

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Avant son départ du pouvoir, le 34ème président des USA Dwight Eisenhower avait prévenu son peuple. Méfiez-vous, avait-il dit, du complexe militaro-industriel. A sa suite, John Fitzgerald Kennedy s’attaqua au pouvoir de l’ombre. Moins d’une semaine après, il fut assassiné. Donald Trump reprit la rhétorique guerrière contre l’Etat profond. L’Etat profond lui arracha le pouvoir au terme d’une mascarade électorale digne de la plus sombre république bananière. Au Sénégal, nous n’avons ni complexe militaro-industriel, ni état profond. Par contre, nous avons un état parallèle. Un état parasite capable de voler le pouvoir au peuple. Cette société de connivence est composée de privilégiés de la proximité avec le président, de courtiers en procédure d’urgence et de quelques médias de grands chemins. Au temps de Wade, ils avaient un nid au palais. Visible. Et la presse les affubla d’un surnom révélateur. Ces oiseaux de proie étaient surnommés des faucons. Sous Macky Sall, on les sent plus éparpillés, plus discret et plus sournois. Mais là, l’Etat parallèle sent une menace. Et elle devient dangereuse. Pourquoi ?

La démocratie, disait Clémenceau, c’est le pouvoir donné aux poux de manger des lions. L’Etat parasite mange du lion à tous les repas. Depuis douze ans. Et il voudrait faire durer son plaisir. La perspective de voir Macky Sall renoncer au troisième mandat est son cauchemar. Il a donc décidé de passer à l’action, de passer commande. Dans la presse, on a vu ces jours derniers des sorties tarifées et spéculatives. Le but est d’encourager Macky à franchir le rubicond, à se comporter comme un dirigeant africain ordinaire. Après tout, lui disent-Ils, vous avez droit à un nouveau mandat de cinq ans, vous pouvez renier votre parole et perdre votre prestige dans l’histoire, les Sénégalais vous donneront la majorité dès le premier tour. Le gap n’est pas insurmontable et votre coefficient est plus important que celui de Bénno Bokkou Yakaar. C’est de la rhétorique. Bien sûr. L’Etat parasite le sait. Mais il faut comprendre. Il ne parle pas pour Macky Sall. Il parle pour lui-même. L’Etat parasite prend ses désirs pour des réalités. Il cherche ce que les psychologues appellent des billets de confirmation. On peut faire dire tout et n’importe quoi aux chiffres. Nous reviendrons plus tard sur le caractère manipulatoire de cette scandaleuse propagande.

La contradiction pourrait nous intenter un procès en naïveté. En général, l’entourage ressemble à l’entourée. Nous ne cherchons pas à dédouaner Macky Sall. Peut-être est il l’inspirateur de ce funeste dessein. Peut-être en est-il le commanditaire suprême. Mais notre expérience sénégalaise de la gestion nous conforte. Macky Sall a deux entourages. Il y a les proches par les liens de sang et de mariage. Il y a les compagnons de galère. C’est le groupe des historiques. Et puis, il y a les collaborateurs choisis selon des critères de performances et de compétences supposés ou réels. Il y a ceux qui sans Macky Sall n’auraient jamais tutoyé des sommets. Il y a ceux qui avec ou sans Macky Sall ont les moyens intellectuels de se forger un destin. L’Etat parallèle recrute chez les historiques. Mais pas seulement. Les reniements et les revirements produisent un réservoir de nains d’œuvre. Que voulez-vous ? La fange a ses amants. L’ordure à ses prêtres. Un poète a dit : le paradis du porc, c’est le cloaque.

Derrière chaque victoire de Alexandre le Grand, disait De gaulle, il y a Aristote. Sans Léonard de Vinci, Rémy de Borgia n’aurait jamais été le prince de Machiavel. Mais avec ou sans le prince lombard, Léonard de Vinci serait toujours l’auteur de la Gioconda. C’est pourquoi le penseur voulait que les princes deviennent philosophes où que les philosophes deviennent prince. Pour ne pas sortir de l’histoire, du sens de l’histoire. L’Etat parasite est composé de gens petits avec une grande capacité : celui de faire du plus grand, un tout petit. Regardez le cas du professeur Ismaïla Madior Fall. A force de défendre l’indéfendable, il se fait chahuter sur les plateaux de télévision par monsieur Ngoudeu Mboup. L’Etat parasite a transformé le maître en élève et l’élève en maître.

Il faut quitter la table quand le repas est desservi. Nguur kénn dou ko gnédd, disent les wolofs. Ceux qui demandent à Macky Sall de tenter le troisième mandat sont de mauvais conseils. Ce sont des conspirateurs. L’Etat parasite pourrait qualifier notre théorie de complotiste. Simple raison : personne ne peut en apporter la preuve. Ce n’est pas parce qu’il n y a pas d’entente formalisée que les gens ne s’entendent pas. En réalité, l’Etat parasite n’a pas besoin d’entente formalisée. Un but lui suffit. Celui de pousser Macky Sall à se présenter à un troisième mandat. Ce but de guerre existe. Il est indéniable. Alors, consciemment ou inconsciemment, on s’évertue à répéter la même chose au prince. Et quand on ne peut pas rencontrer le prince, on le dit dans la presse. Ils sont plusieurs à le faire, tous les jours. Bouki a dit : ce que tout le monde dit, c’est la vérité. Si le souverain est enfermé dans le tour d’ivoire de ses envies personnelles, il finit par croire la rhétorique de ses courtisans. C’est une technique d’encerclement. Elle est connue et éprouvée au Sénégal. Beaucoup de leaders locaux l’ont appris à leurs dépens. Il faut se faire des soucis pour Macky Sall. La mandibule est sur le point de se refermer sur lui. L’Etat parasite l’a dit. Pour ceux qui savent écouter.

Que dit l’Etat parasite ? Il dit : Macky Sall peut se présenter à la prochaine présidentielle avec une chance certaine de l’emporter. Bénno Bokk Yaakaar, la coalition présidentielle a récolté un peu plus de 46% lors des législatives. Par conséquent, Macky Sall à 17 mois pour chercher les 4% restants. Ce n’est pas simplement une projection optimiste, c’est de la manipulation. Aristote avait retenu dix catégories pour rendre compte de ce qui se produit : la substance, la quantité, la qualité, la relation, le lieu, le temps, la position, la possession, l’action et la passion. Quand un homme doué de raison décide de s’en remettre exclusivement au calcul on est dans deux cas de figure : ou il est foncièrement incompétent ou il est malhonnête.

Mieux, si on s’en réfère exclusivement aux chiffres des dernières élections législatives, on est dubitatif. Qu’est-ce qui fait penser à ces gens que l’électorat de Macky Sall ne pourrait pas s’éroder ? Sur quoi se fonde cet optimisme béat ? Pourquoi des électeurs ne lâcheraient pas Macky Sall si jamais il franchissait le rubicond du troisième mandat? L’Etat parallèle n’est pas dupe. Elle cherche à duper. Et c’est là que se trouve le danger, le plus grand danger pour notre Etat et son chef. Macky Sall lui-même.

La limitation des mandats n’est pas un cadeau. Non ! Ce n’est pas une fleur faite au peuple par le Président Macky Sall. C’est une conquête populaire. En 2012, douze soldats de la démocratie sénégalaise sont tombés au champs de l’honneur pour arracher cette victoire. Mais le poète a raison. Après chaque conquête, les peuples commettent une erreur. Ils s’endorment sur l’oreiller des dates célèbres. Les révolutions, c’est les romantiques qui les font, mais ce sont les scélérats qui en vivent. L’Etat parasite oublie que la constitution de 2016 appartient au peuple sénégalais. Macky Sall est commis pour la garder. Simplement. Et pour cet auguste tâche, le peuple avait fait confiance à un lion de Fatick. L’Etat parasite veut transformer le lion en matou. D’un fauve rugissant, ils sont capables de faire un doux caniche. Ceux qui aiment Macky Sall doivent le refuser. Ceux qui aiment le Sénégal doivent le refuser. Et si Macky Sall aime le Sénégal, il le refusera.

Aliou Ndiaye Mame Ngoné

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