PRÉSIDENTIELLE 2019 (J -18) [Profil 5/5] : Ousmane Sonko, inspecteur des impostures

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Symbole du rajeunissement de la classe politique sénégalaise, Ousmane Sonko est passé très vite d’inspecteur des impôts et domaines à inspecteur des impostures du Système, candidat à la présidentielle.

« Bon garçon »
La voix posée du vieil homme charriait de la sagesse. Mais, elle cachait mal un mélange de surprise et de fierté. « Vous voulez que je vous parle de mon ancien élève ? » interroge-t-il avant d’ouvrir volontiers la boîte à souvenirs pour fouiller sans peine dans son passé d’instituteur. Il dit : « Je l’avais en classe de CE1 à l’école Boucotte Sud (à Ziguinchor). Il était très intelligent, honnête et travailleur. C’était un bon garçon, très intéressant. »

L’enseignant à la retraite Ousmane Diémé parle d’Ousmane Sonko, le candidat de Pastef pour la présidentielle du 24 février. L’un des symboles du renouvellement de la classe politique sénégalaise. Celui qui est passé, en un laps de temps très court, d’inspecteur des impôts à inspecteur des impostures du système qu’il a longtemps servi avant de se braquer contre les travers et abus de ses tenants.

Ousmane Sonko, 45 ans, est le benjamin des candidats à la succession de Macky Sall. Né à Thiès d’une mère sérère et d’un père diola, il représente la confluence de deux ethnies à propos desquelles l’on évoque davantage les ressemblances que les différences. Pour son éducation et son instruction, ses parents n’ont jamais lâché la bride. « J’ai connu sa famille qui était très rigoureuse. Sa maman et son papa ont bien encadré ce garçon; je ne l’ai jamais vu se battre », confie « Monsieur Diémé ».

Sonko a fait de brillantes études : cycles primaires et secondaires bouclés d’une traite, entre Ziguinchor et Sébikhotane, bac à 20 ans, maitrise en droit public à l’Université Gaston Berger, Dea en finances publiques et fiscalité à l’Ucad, master 2 en gestion et finances publiques à l’Institut supérieur des finances et un doctorat en droit public économique et fiscalité à l’Université Jean Moulin Lyon III.

Mais son passage à l’Ecole nationale d’administration (Ena), d’où il sortira major de sa promotion, restera, certainement, l’étape la plus décisive de sa formation. Il s’ouvre les portes de l’administration sénégalaise, précisément la Direction des impôts et domaines. Là où est née sa carrière politique sur les cendres de sa carrière professionnelle.

Numéro 10
« Il était au cycle A, moi au cycle B, rembobine l’inspecteur des impôts Élimane Pouye, son camarade à l’Ena. Je ne sais pas s’il était assez assidu, mais il venait souvent m’emprunter mes cahiers car il a manqué une leçon ou un cours. Souvent, je lui prêtais mes cours afin qu’il puisse photocopier et être à jour. »

Si Sonko a marqué les esprits à l’Ena, c’est certes du fait de ses performances d’étudiants, mais aussi grâce à ses talents de footballeur.  Pouye : « Ousmane était le numéro 10 de l’équipe de la promo. Il jouait bien au foot. C’était une promotion où il y avait beaucoup d’amateurs de foot. Il aimait porter la balle au milieu de terrain. »

Il aimait également porter les revendications de ses collègues à la Direction des impôts et des domaines. Pouye, encore : « L’idée de créer un syndicat est venue de lui. (…) Il faisait partie des plus jeunes du comité d’initiative, mais la témérité et leadership dont il a fait preuve, ont tout de suite montré que c’était la personne indiquée pour être le secrétaire général du syndicat. »

Mais le président de Pastef souffrait les défauts de ses qualités. Pouye, toujours : « Je lui reprochais parfois d’être dictateur, surtout quand il est persuadé qu’il y a une bonne décision à prendre et qu’il faut tout de suite y aller, sans hésiter. »

En 2014, le grand saut. Le gilet de syndicaliste était devenu trop étroit pour Sonko qui gonflait de colère en découvrant petit à petit les micmacs du système. Il fonde son parti, Pastef, mais refuse de briguer la présidence. « Les deux rares postes qui étaient mis en jeu, c’étaient le poste de président et celui de chargé de l’organisation. Les gens l’ont obligé à être le Président, il ne voulait pas », révèle Djibril Guèye Ndiaye, son oncle maternel et chef du protocole.

Né un 29 août
Vite, Ousmane Sonko s’approprie les thèmes comme la mal gouvernance au sommet de l’Etat, la corruption, la concussion, l’incivisme fiscal des élus, les abus et légèretés dans l’octroi des blocs pétroliers et gaziers. Au début, son discours semblait laisser indifférent le régime aux affaires. Mais, dès le 29 aout 2016, le marteau du pouvoir s’abat sur lui : Sonko est radié de la fonction publique.

Guèye Ndiaye rejoue le film du jour fatidique : « Ce jour-là, j’étais avec lui. Nous étions seuls dans sa voiture de fonction. C’est moi qui conduisais. Puis, il m’a dit : ‘Macky m’a radié avant de prendre son vol, mais personne n’est au courant’. A un moment, j’avais même des problèmes pour appuyer sur l’accélérateur. A notre arrivée, pendant deux minutes je suis resté collé au volant. Je l’ai regardé, puis nous sommes entrés dans la salle. Les choses commençaient à fuiter. Avant de quitter l’hôtel, j’avais les larmes aux yeux. Et c’est lui qui me réconforte en me disait: ‘C’est maintenant que commence le combat’. »

Le tort de Sonko : avoir rompu son devoir de réserve, selon ses supérieurs. « Il me disait : ‘Je n’ai pas tort. Tout ce que j’ai dit, peut être vu en ligne sur le site du ministère des Finances. Puisque c’est l’arme de la radiation qu’il a trouvée, c’est maintenant que commence le combat’. (…) Il a pris (sa radiation) avec beaucoup de lucidité et de sérénité, assure le chef du protocole du leader de Pastef. C’est comme s’il sentait que c’est son destin qui commençait à se jouer à travers cette radiation. »

« Sonko Président »
À partir de là, convaincu d’être victime d’injustice, Ousmane Sonko ne s’arrêtera plus. Face au régime, il déploie une hargne suspecte. Sonko serait-il rancunier ? Daouda Guèye, un de ses anciens professeurs, jure que non. Indiquant que, depuis très jeune, son ancien élève ne supporte pas l’injustice.

Il dit : « Son attitude et sa posture ne datent pas d’aujourd’hui et ne sont guère liées à un contexte politique. Je l’ai connu ainsi, alors qu’il n’avait que 13 ou 14 ans. Ceux qui l’ont eu dans leur classe peuvent en témoigner. En tant qu’enseignant, ce que j’ai retenu de lui, c’est son aptitude à s’opposer à toute forme d’injustice, qu’elle vienne de l’enseignant ou de ses camarades. Sa radiation de l’administration n’a pas été une surprise pour moi. »

Son élection comme député, en septembre 2017, n’est pas non plus une surprise. Elle paraît la suite logique, la consécration, d’une quête sans relâche de justice, d’équité et de transparence. Aujourd’hui, Ousmane Sonko vise le poste suprême. Il est en concurrence avec Macky Sall, le Président sortant et sa cible favorite, Idrissa Seck, Madické Niang et Issa Sall. Il jouit d’une grosse cote de popularité, malgré quelques écarts de communication et les doutes sur son rôle dans l’affaire des 94 milliards. Son ambition : prendre le pouvoir pour refonder le système.

« Je lui souhaite de gagner. Avoir un élève président de la République, il n’y a rien de tel », se délecte déjà son ancien maître Ousmane Diémé.

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